Portraits : galère d’enseignants
A teacher conduct her class under an improvised shelter in the Northern Province of Cameroon on September 16, 2016. (Photo by REINNIER KAZE / AFP)

Tranche de vie d’enseignants révoltés par leurs conditions de travail.
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Une syndicaliste dans la chair et dans l’âme

Florence Aimée Tchitcho. L’enseignante, secrétaire régionale par intérim du Snaes Littoral, a trouvé dans le marketing de réseaux un moyen d’arrondir ses fins du mois.

Elle n’est femme que de nom. La preuve, ce mercredi 2 mars aux environs de 13h30, pendant que nous échangeons avec ses collègues masculins dans la cour de récréation du lycée technique de Douala-Koumassi, dans l’arrondissement de Douala 1er, tous réfèrent le reporter du Jour vers une seule personne. Une femme de surcroît : Florence Aimée Tchitcho.

C’est que cette enseignante de français, âgée de 46 ans, brave et courageuse, possède le syndicalisme dans son âme.

« Elle est la seule personne qui peut vous parler, actuellement », lancent simultanément ses collègues, comme s’ils s’étaient concertés. Militante du Mouvement africain pour la nouvelle indépendance et la démocratie (Manidem), Florence Aimée Tchitcho a fait ses classes de militantisme politique et syndical au sein de cette formation politique « avant-gardiste ».

C’est d’ailleurs sous la bannière de l’UPC-Manidem qu’elle s’était présentée aux dernières élections municipales de 2020 dans la circonscription de Douala 1er, où le maire sortant, Lengue Malapa, du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), le parti au pouvoir, avait rempilé. Affiliée au Syndicat national autonome de l’enseignement secondaire (Snaes), elle y occupe, aujourd’hui, la fonction de secrétaire régionale par intérim, après avoir été secrétaire départementale du même syndicat dans le Wouri. En 2008, elle termine sa formation à l’Ecole normale supérieure (ENS). Un an plus tard, elle est affectée au lycée technique de Douala-Koumassi comme professeur de français. Une discipline qui n’offre que peu d’opportunités de répétition. « Ce n’est pas évident pour nous, professeurs de français, de trouver des cours de répétition. Les parents sollicitent plus les professeurs de mathématiques et de physique-chimie », se désole-t-elle.

C’est fort de ce constat que la jeune femme a décidé de s’investir dans le marketing de réseaux pour arrondir ses fins du mois, dans une ville chère, où le transport et le loyer coûtent des yeux de la tête.

Après plus de dix ans d’activité à Tienshi, une multinationale qui commercialise des packages de produits de la médecine naturelle et traditionnelle chinoise, Florence Aimée Tchitcho est aujourd’hui distributrice huit étoiles et lorgne le « Lion de bronze ».

« Sans cette activité de marketing de réseaux, ça n’aurait jamais été évident pour moi, confie l’enseignante, qui avait vu le jour un 13 septembre de l’an 1976. C’est Tienshi qui me procure mon deuxième salaire et me permet de garder mon équilibre. » Si elle ne se plaint guère de n’avoir jamais été affectée du lycée technique de Koumassi vers une autre région – en fait, elle ne l’a jamais sollicitée –, elle déplore, comme tous ses autres collègues, le fait que les avancements, censés être effectifs tous les deux ans, ne soient pas toujours suivis d’incidences financières. Comme son dernier avancement.

Théodore Tchopa

 

 

Le calvaire d’un informaticien contractuel

Rodrigue Nguimeya Nguetsa. A 42 ans, ce contractuel d’administration attend toujours une intégration hypothétique dans la fonction publique. Et ce n’est qu’une revendication parmi tant d’autres.

Au cas où son intégration dans les effectifs des salariés de la fonction publique camerounaise ne viendrait pas à être effective au cours des années qui suivent, Rodrigue Nguimeya Nguetsa pourrait aller en retraite à 50 ans. C’est-à-dire dans huit ans tout juste. Et pourtant, voilà onze années qu’il met ses compétences d’informaticien au service de l’administration publique camerounaise, sans compter, malheureusement, dans les effectifs des fonctionnaires. Pour le moment, il doit se contenter d’un « minable » statut de contractuel d’administration, avec toutes les frustrations et les humiliations que cela implique au Cameroun.

Recruté au lycée d’Akwa-Nord le 10 octobre 2011, date de la signature de son contrat avec cet établissement d’enseignement secondaire public, il y est en service dans ce lycée depuis le 22 mai 2012.

Et pourtant, aucune ligne n’a bougé depuis lors. « Jusqu’à ce jour j’ai reçu deux avancements et, après ces deux avancements, c’est fini. », déplore-t-il. Pendant qu’il végète, tous ses promotionnaires, informaticiens comme lui, qui ont été recrutés la même année et ont été affectés au ministère des Enseignements secondaires (Minesec), ont reçu leurs rappels. « A ce jour, je n’ai jamais perçu un seul franc, et, à plusieurs reprises, on a eu à me passer des contacts au ministère des Finances, qui m’ont fait savoir qu’effectivement le rappel est là, mais qu’il fallait des pourcentages, que l’on puisse se départager cet argent afin que je perçoive le mien. Une minable somme de 700 000 francs ! je ne sais pas combien il fallait partager, pour qu’après j’aie combien afin qu’eux-mêmes ils aient combien ? »

Le hic, c’est que le pourcentage exigé par les corrompus tapis au ministère et applicable au partage, oscille entre 30 à 35%.

« On ne sait pas pourquoi les avancements posent un problème alors que, sous d’autres cieux, ceux qui ont été recrutés par exemple au ministère des Transports et dans les autres ministères, leurs avancements passent sans problème. Pourquoi l’enseignant doit être clochardisé jusqu’à ce point ? », s’interroge l’enseignant contractuel d’administration, qui aurait dû bénéficier des mêmes avantages que les enseignants intégrés, selon lui. « Les textes régissent qu’après dix ans, en tant que contractuel, vous devez passer au même grade que les fonctionnaires, mais on attend toujours le concours d’intégration », soupire-t-il, colérique.

Titulaire d’un master en réseaux et télécommunications, Rodrigue Nguimeya Nguetsa a été vacataire au lycée d’Akwa Nord avant son recrutement en qualité de contractuel d’administration au sein de ce même établissement.

L’enseignant réclame à l’Office de baccalauréat du Cameroun (OBC) les primes d’évaluation, de correction et de délibérations du probatoire technique (sessions écrit et pratique), pour le compte de l’année 2021. Et ce n’est qu’une revendication parmi tant d’autres. « Je pars en retraite à 50 ans et non à 60 ans. Ce sont les fonctionnaires qui vont à la retraite à 60 ans », rappelle-t-il à qui veut l’entendre.

Théodore Tchopa

 

 

Mototaximan et prof

N. S. Cet enseignant de 30 ans, qui totalise cinq ans de service, est parfois obligé de faire le transport clandestin, pour subvenir à ses charges familiales.

Pourtant fier de son parcours, le jeune enseignant de lettres que nous avons rencontré hier, cache un malaise.

Je rêvais d’être un professeur admiré par mes élèves. Or je manque de moyens pour m’habiller. Voyez ce que je porte ! Vraiment curieux », s’énerve-t-il.

Ce n’est pas qu’il marche nu. Ni même que comme certains maîtres chahutés dans le temps, il a des haillons. Il n’est simplement pas à son aise dans cette chemisette bien repassée, qu’il a enfilé dans un pantalon de même soin pour se rendre à l’école. « Le prêt-à-porter, c’est pour qui ? », répète-t-il. Le rendez-vous avec le reporter l’a éloigné ce soir d’une activité qu’il mène bien malgré lui et sans laquelle, il assure que sa vie n’aurait plus le même sens. Chaque soir, à la fin des cours, il « attaque ». Autrement, il est benskineur. Grâce à une moto héritée de son géniteur, il transporte des passagers vers les coins où il est sûr de ne pas croiser ses élèves. Cela peut rapporter jusqu’à 5.000F certains jours. Mais il ne doit pas trop trainer dehors car sa femme est jeune et il a deux petits enfants.

Le jeune prof a un parcours admirable : bacc à 18 ans, licence à 21 ans, il sort de l’Ens de Maroua en 2017. Affecté dans son établissement actuel, en plus des 20.000F de subside à lui versés par l’Apee, il vit alors de sa moto, en attendant son premier salaire. Celui-ci arrive huit mois après. Il ignore ce que représentent les 123.000F. On lui explique que ce sont les 2/3. Grâce à une acrobatie corruptive, il réussit à obtenir 30.000F d’indemnité de non-logement trois mois plus loin.

Orphelin depuis son séjour à l’école normale, il a à sa charge, outre son épouse chômeuse et mère de deux enfants, sa veuve de mère, la responsabilité de la scolarité et de la nutrition de ses deux cadettes et les frais de garage du benjamin. Au moins 150.000F à débourser donc chaque mois s’il évite le luxe. Depuis quatre ans qu’il attend le tiers restant ainsi que les diverses primes de son corps de métier, il est obligé de jongler avec son statut. En effet, ses collègues le narguent souvent en faisant allusion à cette activité avilissante. « Sans cette moto, je ne sais pas ce qu’on serait devenu », juge-t-il, rassurant. « Nous avons le groupe whatsapp de la promotion. Beaucoup de mes camarades n’ont encore rien », se console-t-il. Selon lui, la différence entre ce qu’il gagne actuellement et son salaire véritable atteint 70.000F. De quoi changer de vie.

S.M.

 

 

Un philosophe rêve d’agriculture

Jean Marc Mougnol. Le calvaire d’un enseignant au lycée de Booulembé dans la région de l’Est.

Les enseignants ont largement suivi le mot d’ordre de grève dénommé craie morte. C’est dans cette mouvance que s’inscrit Jean Marc Mougnol, enseignant de philosophie au lycée de Booulembé, le chevalier de la craie coure toujours après son premier salaire depuis sa sortie de l’école de formation :

j’étais enthousiaste quand j’étais en formation, j’avais des rêves mais une fois sur le terrain tout mon zèle a été estompé  car l’enseignant est dans une situation intenable et il va falloir que l’Etat trouve des solutions idoines à cette situation », indique M. Mougnol.

Plusieurs griefs révoltent l’enseignant qui ne sait plus où mettre de la tête : « Nous sommes victimes de plusieurs injustices, il n’ y a pas de raison que nous n’ayons pas de salaire proportionnel au travail que nous abattons mais on nous demande de continuer d’enseigner les enfants . Ne dit-on pas que ventre affamé n’à point d’oreille ? » martèle le philosophe.

Le manque de profil de carrière, des nominations fantaisistes, une gestion financière bidon (selon sa propre expression) : « Comment pouvez-vous trouver normal que les candidats aux examens certificatifs payent les frais d’examens mais on n’arrive pas à payer les enseignants après correction des copies ; comment peut-on expliquer cela ? », s’interroge le professeur de philosophie. L’enseignant est traité au rabais, Jean Mougnol, pour être à l’abri du besoin, se jette dans la dispensation des cours de remise à niveau qu’il appelle affectueusement chantiers : « Je donne des cours de soutien aux enfants, ils sont nombreux et cela me donne un peu d’argent qui me permet d’être à l’abri de la famine.  »

L’enseignant a le regard figé vers le ciel, sa famille et lui (son épouse et sa fille) bénéficient de la couverture sanitaire divine, dit-il religieusement. Agé d’une trentaine d’années, Jean Marc Mougnol ne croit plus au système éducatif de son pays : « Pour être sincère avec vous, j’ai pensé à un moment  changer d’orientation sociale.

L’Etat du Cameroun encourage l’auto-emploi alors pourquoi ne pas me lancer dans l’agriculture, l’élevage, ou même le commerce ?

C’est vrai que je ne suis pas doué dans ce business mais on dit qu’impossible n’est pas camerounais », songe le jeune enseignant. Les populations qui encouragent la témérité et le courage de l’enseignant viennent de manière permanente en rescousse pour que l’enseignant et sa famille ne manquent  de rien : « C’est l’un des rares enseignants qui est encore ici de manière permanente et il est toujours disponible , voilà pourquoi nous sommes obligés de faire quelque chose pour lui »,  laisse entendre Djibril Ali,  un commerçant. Son voisin Baba Aoudou de rassurer : «  il n’ya vraiment plus l’école ici  c’est le seul enseignant qui entretient nos enfants, nous devrions aussi lui retourner l’ascenseur ».

Charles Mahop 

 

 

 

 

 

« Nous nous battons pour que l’enseignant retrouve sa place»

Jean Aimé Bitsing. L’enseignant d’espagnol évoque la situation de l’enseignant et le mot d’ordre de grève craie morte.

Pourquoi le mot d’ordre de grève craie morte ?

C’est à dessein que je vous parle aujourd’hui car nous sommes fatigués, il n’y a plus d’autre issue que d’exprimer notre mécontentement.

Depuis combien d’années êtes-vous sur le terrain ?

Je suis sur le terrain depuis 1996, jusqu’à ce jour je continue de boire de la poussière et de la craie.

Quelles sont vos revendications ?

Nos revendications s’étalent sur un chapelet, il y a des enseignants qui terminent  leur formation et passent  des années durant  sans percevoir les 2 / 3 de leurs salaires  ce qui ne leur permet pas de subvenir à leurs besoins. Il y a le problème de l’intégration qui est un calvaire et quand bien même on réussi à déposer son dossier d’intégration on n’intègre pas, pour les plus chanceux, lorsqu’on réussi à déposer son dossier, les incidences financières ne suivent pas, mieux encore, il y a le sempiternel problème de profil de carrière, comment pouvez-vous expliquer que vous enseignez un enfant qui revient vous retrouver quelques années plus tard sur le terrain et devient votre proviseur ? On fait tout dans notre pays pour clochardiser les enseignants, non, il faut mettre un terme à cette situation.

Qu’espérez- vous ? Un redressement de carrière ?

Je n’ai pas de soucis de carrière maintenant, nous nous battons pour nos jeunes collègues, pour le futur, nous nous battons pour que l’enseignant retrouve la place qui est la sienne dans la société car      Je crois que l’opération craie morte n’est rien d’autre  que le début d’une série d’actions que nous allons mener.

Propos recueillis par Charles Mahop 

Claude Tadjon

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