Jean Dikoto Mandengue, le maître de la  »walking bass »

De grandes écoles de Classic Jazz étudient les lignes du musicien camerounais. Portrait d'un géant qui célèbre ses 79 ce jour.
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Jean Dikoto Mandengue est une légende vivante de la basse dans le monde. Comme les célèbres bassistes Jaco Pastorius et James Jamerson, le musicien Camerounais réussit non seulement à obtenir un gros son avec une basse à quatre cordes, mais également son jeu est très présent. Une technique pas toujours aisée pour ses confrères de la nouvelle génération. « Son jeu de guitare exceptionnel donne un son puissant et brillant assimilable à celui d’un tissus épais qu’on déchire. Il faut vraiment être un pro pour monter haut dans les aigus comme il le fait dans le solo de Fire avec Osibisa», décrit Josué Lembe Penda, son conseiller et ami de longues dates. Ekambi Brillant, ami d’enfance du musicien, lui, dira que la basse de Jeannot chante. Et, selon le bassiste Etienne Mbappé, on sent le sol vibrer quand son confrère joue de la basse.

En effet, Jean Dikoto Mandengue a modernisé la Walking Bass, une technique très utilisée dans les écoles de Classic Jazz, notamment celles de Miles Davis et de Ron Carter. « La Walking bass (la basse qui marche) est une ligne de basse qui consiste à jouer tous les temps en créant une mélodie. Celle-ci rend le jeu du bassiste très présent. J’y ai rajouté ma touche, un mélange de Makossa et de Rhythm and Blues. Ce qui rend mon son unique», nous expliquait le musicien rencontré dimanche 13 mai 2022 à Paris.

Meilleur bassiste du monde

Autant la trompette bouchée de Miles Davis est reconnaissable entre mille, autant le son de Jean Dikoto Mandengue l’est parmi tant d’autre.  Le jeu de cet artiste a influencé plusieurs générations de bassistes. Jean Dikoto Mandengue figure dans le Top 10 des bassistes Africains les plus influents du monde (Classement du Magazines Forbes-2013). Son légendaire solo dans sa chanson « Five » joué avec le groupe « Osibisa » révolutionne le monde de la Bass. « A l’époque, la basse était considérée comme un instrument d’accompagnement. Mon style m’a permis de l’imposer dans les chansons ce qui a d’ailleurs déclenché un mouvement de jeunes bassistes qui voulaient presque tous faire comme moi », explique modestement celui qui se fait également appeler Jeannot Karl.

En 1977, le Magazine Anglais Melody Maker fait de lui le « Meilleur bassiste du monde » devant de grosses pointures comme Jaco Pastorius du Weather Report, le meilleur groupe de Jazz Fusion de tous les temps. « Après un spectacle, Jaco est venu voir Jeannot dans sa loge. Ils ont passé toute la nuit à échanger sur les techniques de basse. Jeannot a longuement joué  la chanson « From the Congo »,  un morceau de Manu Dibango qu’il a écrit et où il joué la basse.  Après cette rencontre, Jaco Pasterius a sorti un disque avec un morceau « Hot Chickens  » dont les lignes de basse ressemblent étrangement à « From Congo » », explique Josué Lembe Penda. En 2014 au Cameroun, certains lui ont marqué leurs reconnaissances. La Ville de Douala dont il est originaire l’a fait Citoyen d’honneur. Pour couronner tout, le président Paul Biya l’a également élevé au grade de Chevalier de l’Ordre et de la Valeur.

Le Ry-Co Jazz

Sobre, le sexagénaire a surtout une belle âme. Casquette retournée, baskets montantes, pantalon slim, comme son copain Johnny Halliday, il a du rock dans l’attitude. Un peu marqué par le poids de l’âge, il saute comme un athlète et son visage s’illumine au contact de  sa Fender Musicman Sabre Bass. C’est la Rolls-Royce des Basses, l’une des plus puissantes. « Avant, je jouais avec une Fender précision. En 1980, lors d’un voyage aux Etats-Unis, j’entre dans un magasin pour acheter une basse dans les mêmes gammes. Le vendeur me dit qu’elle coute très cher et qu’il ne peut pas me la racheter. En revanche, il m’a proposé de l’échanger contre ma Fender Bass Music Man vendu en série limitée », explique le bassiste. Jean Dikoto Mandengue reste néanmoins discret sur le prix de ce bijou dont, le modèle a été utilisée par le bassiste américain Louis Johnson pour la plus part des tubes de Mickaël Jackson.

La Fender Bass Music Man dispose de cinq configurations possibles des micros. Pas besoin d’effets car l’électronique est adaptée. Du fait du coût élevé de la fabrication de cet engin, la maison Fender arrête sa production pour la reprendre 20 ans plus tard.

Jean Dikoto Mandengue est né le 19 août 1943 à Douala. Son père, militaire dans l’armée Française était un grand danseur d’Ambas-Bay. Le musicien fait ses études primaires à l’Ecole principale d’Akwa avec son camarade et ami Eboa Lottin. Il poursuit ensuite au Centre de formation professionnelle ouvrière (Cpfo) de Douala. Féru de boxe, il s’entraîne avec son copain Joseph Bessala au club Ring du rail à Douala. Plus forte que tout, sa passion pour la musique ressurgit. Il se forme sur une guitare de fortune fabriquée avec du bois et des rayons des roues de vélos. De temps en temps, il est admis à faire un bœuf avec l’orchestre Ambiance Jazz, le groupe que Kinguè Paul Ebéni avait constitué au quartier Akwa avec d’autres musiciens comme Mamadou et Tchatchoua à la guitare et Njoh Toto en guitare d’accompagnement. « Le groupe recevait des orchestres zaïrois. Ça mettait de l’ambiance au quartier. Nous n’avions cependant qu’une guitare électrique que seuls les privilégiés pouvaient utiliser. Tout ceci m’a donné l’envie de m’expatrier à peine  sortie de l’adolescence », explique l’artiste.

Commence alors une longue aventure musicale dans le monde après l’Indépendance. Première escale à Abidjan. Il va ensuite au Liberia où, il est une véritable star. Jean Dikoto Mandengue y rencontre le Ry-Co Jazz venu en tournée. Très influencé par les rythmes congolais, Il intègre ce quartet du Congo-Brazzaville de l’époque et s’installe avec lui en Côte d’Ivoire. De cette collaboration naîtra des disques avec des chansons à succès comme « Koumbele », « Habiba Moussa », etc.

Jean Dikoto Mandengue quitte le Ry-Co Jazz pour une aventure inconnue en France. Nouveau challenge via un périple en Bateau. En 1960, l’artiste pose d’abord ses valises à Marseille. Quelques mois après, cap pour Paris où sa carrière prendra un véritable envol. Il y sera accueilli à la Maison des Etudiants Congolais (Mec) sis au numéro 20 de la Rue Béranger dans le 3ème arrondissement de Paris. « Ne sachant pas où aller, j’ai sollicité leur aide et l’accueil a été favorable. C’est d’ailleurs l’occasion de dire encore merci au concierge qui m’a reçu ce jour-là,  ainsi qu’à tous les étudiants qui m’ont adopté comme un de leur compatriote », précise Jean Dikoto Mandengue qui poursuit : « Les étudiants ayant appris que j’avais appartenu au Ry-Co Jazz, ils m’ont intégré dans leur orchestre. Très vite, on a commencé à parler de moi et, un jour, je reçois un coup de fil d’un certain Jean-Paul Soppo Priso, Manager de Manu Dibango que je ne connaissais pas. Ce dernier demande à me rencontrer». La première rencontre ne se passe pas très bien. Car Jean Dikoto Mandengue arrivé en retard est raillé par ses hôtes, notamment Manu qui était déjà assez connu dans les milieux parisiens. « C’était ma première fois de prendre le métro. Perdu je suis arrivé au rendez-vous une heure après. Mais les choses rentrent très vite dans l’ordre et j’intègre le groupe de Manu Dibango comme guitariste bien sûr », se rappelle Jean Dikoto Mandengue qui amènera son copain Slim Pezin dans le groupe baptisé Souls Brothers Number one. Il deviendra son producteur.

Les prestations du groupe sont très appréciées dans les cabarets parisiens, notamment la Bohème à Montparnasse et le Jerk Club. Le jeu de guitare de Jean Dikoto Mandengue apporte un plus. Pourtant Manu trouve qu’il peut faire mieux. Et un jour, « Il me dit regarde le monsieur là-bas. Naïvement, je me retourne en cherchant une présence humaine en dehors des trois personnes que nous étions dans la salle de répétitions en vain. Il me pointe la contrebasse en me disant et si tu l’essayais. Je n’avais jamais touché à un tel engin et pourtant je m’y suis mis. Et voilà comment j’ai fini par être bassiste », se rappelle Jeannot.

Claude François, Nino Ferrer, Mike Brown

Dans les années 60 déjà, Jean Dikoto Mandengue devient le bassiste de Claude François, l’un des artistes Français les plus appréciés du public. «Je jouais au Cabaret la Bohème à Montmatre, Paris, avec mes copains Manu Dibango, le guitariste Slim Pezin , Lucien Doba, Ben’s Elessa  Njiné, Alain Shetery (chant). Un soir, le collaborateur de Claude François que je ne connaissais pas me glisse un mot, donc je prends connaissance après notre prestation. Il y était mentionné que « Les Disques Flèches », le label discographique de Claude François, me convie à une audition de bassistes  en son siège», explique l’artiste. Le lendemain, en toute sérénité, il se rend au 122 Boulevard Exelmans, dans le 16ème Arrondissement de Paris. L’audition se passe devant René Urtreger, pianiste et chef d’orchestre du groupe de Claude François. Jean Dikoto Mandengue doit poser sa basse sur la chanson « Belle ! Belle ! Belle ! », le premier succès de Cloclo. Son exceptionnel jeu de basse lui vaut d’être acclamé par tout le monde, même par Claude François qui l’a entendu jouer de loin. Le Camerounais remporte donc le test haut la main. Jean Dikoto Mandengue sera le premier Africain à jouer avec Claude François, sinon l’un des rares.

C’est parti pour sept années de collaboration intense à sillonner le monde pour des spectacles de variété française à l’américaine. Un contrat financièrement juteux reconnait l’artiste. «Je n’étais pas vraiment musicalement dépaysé car en Cabaret avec Manu et Slim, nous jouions du Rhythm and Blues interprété par des stars américaines comme Wilsons Pickett, Aretha Franklin, Otis Redding, James Brown… Claude François se referait beaucoup à moi sur scène. Très rigoureux, il travaillait à l’américaine et ne supportait aucun retard, aucune erreur. Il avait également beaucoup d’humour et, Quand je me trompais, il se mettait à chanter comme d’habitude, Jeannot a encore fait une fausse note», se souvient le bassiste plus de 50 ans après. Il se rappelle aussi de son entretien téléphonique avec Cloclo, quelques jours après sa tournée en Afrique, notamment au Cameroun. «Il voulait que je sois de la partie. Malheureusement j’étais déjà sous contrat avec le groupe Osibisa», regrette l’artiste.

La présence de Jean Dikoto Mandengue aux côtés de Claude François  accroit sa notoriété dans le Ghotta musical Français. C’est ainsi que le bassiste jouera parallèlement dans l’orchestre de Mike Brant, Alain Chamfort, Patrick Topalof, Stone et Charlène et celui de Nino Ferrer. «Ma rencontre avec Nino Ferrer est anecdotique. J’étais venu avec Manu Dibango qui, lui, jouait déjà avec Nino. J’ai profité de l’absence de ce dernier pour jouer sur sa basse. M’entendant de  loin, il est revenu sur ses pas et m’a dit : A compter d’aujourd’hui tu seras mon bassiste. Nous avons fait beaucoup de tournés ensemble. D’ailleurs, il est venu me voir à Londres pour me convaincre de revenir dans son groupe», explique Jean Dikoto Mandengue. Peine perdue car, j’avais déjà intégré Osibisa.

En dépit de ses prestations avec le groupe, Jean Dikoto Mandengue donne libre court à son talent d’auteur-compositeur-interprète et enregistre son premier 45 Tours en 1973 Songo’a Esele produit par les éditions Philips.  Le bassiste sera l’un des premiers Africains à signer avec cette Major Compagny. Il en sera musicien de studio et sorte de directeur artistique chargé de dénicher les talents africains. C’est ainsi qu’il a fait signer de nombreux artistes comme François Louga, Ekambi brillant, Eboa Lotin, entre autres.

Il arrange pas mal de disques comme les tous premiers 45 Tours de son copain d’enfance Eboa Lottin. Les chansons « Bessombe », « Matumba », « Martine » « Ngon’a Mulato », « Munyengue Ba Ngando » entre-autres, sont cuisinées aux épices de la Walking-Bass. Sur son lit d’hôpital, Ekambi Brillant a tenu à manifester sa reconnaissance à Jean Dikoto Mandengue. En 1972, il arrange son 45 Tours « Ngand’a Ba Iyo » où l’on trouve la chanson éponyme et  » Wa Ndé wé nu na tondi no ». La finesse de l’orchestration de ce  blues transporte. Il pose ses lignes de Bass dans quelques titres de l’album « Best of de Manu Dibango » et le célèbre « Epapala » de N’dedy Dibango. Les records de ventes de ces disques en disent long sur la qualité du travail.

Osibisa

Warner Bros, la maison de production  d’Osibisa  vient chercher Jean Dikoto Mandengue à Paris. En 1973, il intègre l’un des meilleurs groupes d’Afro-Rock britannique de cette époque. «Il conclue alors l’un des plus gros contrats signés par un groupe africain jamais égalé. Le Camerounais apporte sa touche magique et compose les plus grands tubes du Groupe notamment  Sunshine day et Five qui lui a valu le titre de Meilleur Bassiste du monde en 1977 par le Magazine Melody Maker. Le groupe est propulsé au sommet des  grandes scènes du monde. : Le Madison Square Garden, la plus prestigieuse salle de concert du monde. Sans parler de l’Apollo à New York et de l’Olympia à Paris. Le Groupe sera d’ailleurs reçu par la Reine Elisabeth II. Et en 2020, Osibisa est sacré meilleur groupe africain à Londres.

Jean Dikoto Mandengue évolue avec Osibisa de façon permanente pendant 3 ans et va aux Etats-Unis rajouter une corde à son arc. Il revenait pour des concerts et tournées importantes. Il n’a jamais rompu définitivement avec Osibisa.

Jeannot de mener parallèlement une carrière solo. Malheureusement le contrat signé avec Warner Bros ne le permettant  pas, il sort  des  disques sous le  JK Mandengue et Jeannot Karl. Son ami Slim Pezin va le produire sous le Label BBZ productions. De cette collaboration naitront entre autres l’album Muna munyengue en 1977. Jean Dikoto compte une dizaine de disques. Il y aborde des thèmes tels que le racisme, la liberté, le football, l’amour avec à chaque fois une belle doses de basse. Dans « Les Retrouvailles » son dernier album sortie en  2006, il reprend ses titres et revient à la guitare, son premier instrument qu’il a toujours joué avec le pouce comme le Bluesman Albert King. Cette  technique donne un son rond et très original. Pour certains mélomanes, sa meilleure prestation à la guitare est celle de l’album « Put You’re gun down » réalisé aux Etats-Unis et similaire à ceux produit par le guitariste Carlos Santana. Dans son morceau « Lions Indomptables », Jean Dikoto Mandengue joue à la fois la basse et les guitares. Magique !

Hollande

Pendant près de deux décennies, Jean Dikoto Mandengue était toujours entre deux avions, Londres, washington, New York, Paris, Douala.

Un malheur va frapper ce globe-trotter et l’obliger à poser ses valises pour longtemps en Hollande. En effet, il assiste au décès de sa compagne, suite à un accident de circulation, avec deux bébés dans la voiture. Puisque le couple venait d’avoir des jumeaux. La loi hollandaise étant stricte, elle refuse de lui laisser la garde de ses enfants et veut les mettre à l’assistance publique. Jean Dikoto Mandengue Il prend donc la résolution de mettre en sommeil sa carrière, les tournées et la vie de paillettes pour s’occuper de ses enfants. Tous les jours, quel que soit l’heure où il s’est couché, tôt le matin, il se lève pour préparer le petit déjeuner à ses jumeaux, puis les accompagne à l’école. Aujourd’hui ce sont de grands enfants. Il est resté reconnaissant à Maya, la femme hollandaise qui s’est occupé avec lui des jumeaux, puisqu’ils partagent toujours l’encadrement des jumeaux Dikoto et Endallé. Comme quoi les artistes ne sont pas toujours des irresponsables. Pour sa compagne décédée, il a composé une chanson « Na Selele » où on ressent une émotion particulière et poignante dans la voix. Cette chanson se trouve dans l’album « Back To the Roots ».

A bientôt 79 ans, le patriarche de la basse continue à jouer et partage sa grande expérience avec de jeunes musiciens. Il caresse toujours le rêve de le faire dans un cadre structuré au Cameroun, indépendamment aux masters class qu’il a souvent organisés. Ne pouvant plus effectuer de longs voyages tout le temps, il a cédé sa boite de nuit de Douala, le Magnesty–club, devenue plus tard le Pédalé Club.

Cathy Yogo, en Hollande  

Cathy Yogo

Author: Cathy Yogo

One comment

  • Nelson EKOTO

    9 septembre 2023 à 10h35

    superbe travail de recherche , merci pour toutes ces connaissances

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