Elèves et étudiants prennent d’assaut cet espace marchand tous les jours pour soulager les ménagères et se faire un peu de sous.
« Madame on vous prend pour l’abattoir ? Le service est rapide ». Telle est l’approche utilisée par des jeunes « écailleurs » de poissons au marché d’Etoudi, à Yaoundé, pour convaincre des clients. Une technique qui permet à plus d’un de se frotter les mains au quotidien. Il est exactement 8h40 dans cet espace marchand le 15 juillet 2024. A cette heure de la journée, ça grouille de monde. Les ‘’écailleurs de poissons’’ sont en poste. Agés entre 13 et 20 ans voire plus, ces jeunes vacanciers ont trouvé une niche pour mieux préparer leur rentrée scolaire et subvenir aux besoins de la famille.
Ils sont vêtus de manière particulière. Gants de protection, boubous tachetés, tennis boueuses et des blousons pour d’autres. Sur les tables qui servent de bureau, on peut y voir des couteaux de diverses formes, des brosses à dent, des bassines, des éponges, des ciseaux et des réservoirs à eau. C’est sur ces vieilles tables que tout s’opère. Ici c’est l’abattoir. On nettoie toutes les variétés de poissons. Ça va dans tous les sens. Certains clients se plaignent de la lenteur dans le service, et d’autres nettoyeurs se lancent des mots déplacés. Motif : manque d’espace. Ils sont regroupés environ 7 sur une table et sont obligés parfois de faire des passes.
Selon Lamine Ahmadou, ancien dans le domaine, le prix du service varie non seulement en fonction de la quantité du poisson mais aussi de la variété. Il explique : « les poissons sans écailles, comme les maquereaux par exemple sont nettoyés facilement. Et généralement pour cette variété, je prends à partir de 200 Fcfa lorsque c’est petit. Quand ça atteint déjà 10 poissons c’est 500 Fcfa. Maintenant les poissons compliqués là, comme les bars, les machoirons, je nettoie à partir de 500 Fcfa. A plus de 10 déjà je prends à partir de 1000 Fcfa. »
Pour espérer avoir une recette conséquente, ces jeunes doivent aller vers les clients en proposant leurs différents services. Ils sont généralement placés aux abords des grandes poissonneries. Thierry explique sa méthode : « lorsque j’arrive au marché, je m’échange. Ensuite je réserve mes bidons d’eaux et je cible les clientes. Certaines à la base ne sont pas très d’accord, mais je finis par les convaincre. »
Jusqu’à 10 000 Fcfa par jour
Cette activité nourrit son homme au regard des recettes journalières. « Lorsque le marché est dur, je peux me retrouver avec 1000 Fcfa seulement par jour, et dans ce cas je me contente juste de boire de l’eau. Quand mon ami est là et qu’il a à manger il me donne un peu. Souvent aussi il y’a des jours où le marché nous sourit, tu peux te retrouver avec 5000, voire 10000 Fcfa dans la poche. Et c’est comme ça tous les jours de 6h à 17h30 parce qu’on ferme à cette heure-là. »
Wilfried Njeumo, élève en 3e année maçonnerie au collège Polyvalent de Bafoussam, a quitté son Ouest natal pour se lancer dans cette activité à Yaoundé. « Je suis ici depuis 3 semaines déjà et je vis avec mon grand frère. Il fallait à tout prix que je trouve quelque chose à faire. C’est pourquoi je me suis lancé dans cette activité. Je ne veux pas vadrouiller dans tout le quartier et aussi je dois aider mes parents à préparer ma rentrée scolaire. » Il en est de même pour Emmanuel, étudiant en faculté de droit à l’Institut supérieur Azimut, qui prépare sa prochaine année académique à travers cette activité.
Toutefois, derrière cette activité génératrice de revenus, les plaintes sont pléthore. Pour Mama Bernadette cliente fidèle de Lamine Ahmadou, il faut avoir un nettoyeur de confiance. Entre les vols, les détournements et le mauvais travail, la présence du client lors du nettoyage est nécessaire. « Il y avait un petit ici qu’on appelait l’éclair, un bon dérobeur. Lorsqu’il nettoyait, il fallait être présente, sinon les pleurs », explique-t-elle. « Je suis abonnée chez Lamine depuis longtemps. Il est très propre et croyant. Voilà ce qui m’a motivé à rester chez lui, même si le rang est long je vais attendre. Parfois, je laisse mes cartons de poissons ici, sans crainte. Je reviens chercher le lendemain. Il faut trouver les bons », ajoute-t-elle. À l’idée de savoir pourquoi certains clients sont méfiants vis-à-vis des nettoyeurs : « Tout métier comporte des risques. Tant que mes clientes ne se plaignent pas ça va, le reste ne me concerne pas », se défend Lamine, tout en affichant un air triste.
Blessures, maladies au rendez-vous
Cependant, cette activité n’est pas sans conséquence. Ils sont exposés aux blessures sévères pouvant engendrer des infections tétaniques, des maladies respiratoires (liées à l’environnement insalubre, Ndlr), le froid, la typhoïde. « Lorsque tu te coupes le doigt, tu es obligé de rester à la maison pendant au moins deux semaines pour que la plaie cicatrise. Cela te fait perdre la clientèle. Aussi, pendant cette période de vacances, les élèves sont avec nous. Tous cherchent l’argent, il y a la concurrence et ça me pénalise beaucoup », confie Emmanuel. A cela s’ajoute le service sanitaire qui exige à ces jeunes vacanciers de payer les emplacements et d’avoir un mode vestimentaire adéquat. Ces jeunes scolarisés sont déterminés à soulager les parents lors de la prochaine rentrée scolaire.
Anne Nga (stagiaire)