Entre retour à l’orthodoxie des évaluations et méchanceté des examinateurs de la session, les candidats et leurs parents cherchent à comprendre la volte-face de l’Office du Baccalauréat du Cameroun, l’institution chargée de cette évaluation.
La session 2024 des examens officiels n’a pas encore livré ses secrets. Après la polémique autour de « l’eau », entendre la fuite des épreuves, ce sont les résultats qui animent les passions depuis quelques jours. Rendus publics dans l’après-midi de vendredi dernier, 19 juillet 2024, ils ne sont pas bons. Se fondant sur des calculs effectués à partir des statistiques globales en circulation et portant l’entête de l’Office du Baccalauréat du Cameroun, certains ont trouvé un taux de réussite de 27,55%. Par la suite, un communiqué du directeur de l’Obc a consolidé les données dans le classement des admis par région, donnant un taux plus élevé. En effet, sur 132 920 candidats ayant pris part aux épreuves, seuls 49 521 ont réussi, soit 37,26 %. Un taux en net recul par rapport aux habitudes, qui suscite des interrogations.
Si l’on enregistre 9 284 mentions ‘’assez bien’’ (c’est-à-dire des moyennes au-dessus de 12/20), 1503 mentions ‘’bien’’ (moyennes comprises entre 14 et 16/20), 224 mentions ‘’très bien’’ (moyennes entre 16 et 18/20) et même 03 mentions ‘’excellent’’ (au-delà de 18/20), il faut tout de suite remarquer que les séries littéraires ont fait piètre figure. Sur 23 564 candidats de la série A4 Allemand, seuls 1 496 ont passé, soit 6,35%. La série Espagnol fait autant, avec 2 802 admis sur 40 633 candidats présents, soit 6,90%. La série littéraire est déjà considérée comme la « poubelle du système éducatif ». « Orientés en A, ces élèves (sans niveau) ne font presque rien pour s’améliorer. C’est une race particulière d’élèves qui brille par l’absentéisme et les comportements les plus désinvoltes », témoigne Jean Lévi Akono Bokandjo, qui cumule 31 ans d’enseignement de la philosophie au lycée.
A bonne source, les délibérations n’ont pas eu lieu dans les conditions habituelles. Aucun candidat n’a été déclaré admis avec une moyenne inférieure à 10/20. D’où ces « résultats catastrophiques », qui choquent même certains. « Il faut que le Bacc retrouve ses lettres de noblesse », s’emporte Charles Ngbwa, enseignant. « Et pourquoi seulement le baccalauréat général ? », interroge un collègue. En fait, ces résultats sont en porte-à-faux avec ceux, encore récents, du Bepc et du Cap, où de nombreux établissements sans enseignants ont pointé 100%, à la satisfaction de la communauté éducative.
Baisse du niveau des élèves
Depuis trois décennies, les syndicats d’enseignants et les pédagogues soucieux crient contre la baisse continuelle du niveau des apprenants, aggravée par la mauvaise gestion de la crise du Covid-19 et le mouvement ‘’on a trop supporté’’. « Le Minesec doit à présent nous expliquer comment notre système de certification peut passer en une année des sommets aux abysses, soit de 75,73% en 2023 à 37,5% en 2024. Pendant 30 ans, on a vendu aux candidats et à leurs parents (avec leur complicité) des diplômes frelatés. Un véritable dol qui se solde aujourd’hui par des tragédies dans les familles. Mais pouvons-nous prévaloir de nos propres turpitudes ? », analyse Augustin Ntchamande, secrétaire exécutif de Onaped, une association qui travaille sur la qualité de l’école. « Ce résultat représente le vrai niveau des élèves. On avait pris l’habitude de les tromper en faisant passer des candidats qui n’avaient pas pu avoir 10/20 de moyenne. Tous les candidats savent que les délibérations sont les occasions pour donner le Bacc à tous ceux qui ont pu avoir 08/20. Puisse cette rigueur continuer », propose Jean Claude Tchasse, enseignant de sciences physiques à la retraite.
Ceux qui voient dans cette rigueur de circonstance un moyen de punir d’éventuels fraudeurs sont contredits. « L’échec n’est pas massif à cause de la tricherie des candidats. Quand il y a fraude massive dans un système d’évaluation, on annule l’examen et on le reprend. En revenant à la moyenne de passage à 10/20, on est simplement retourné à l’orthodoxie. C’est en allant chercher les candidats à 08/20 et en leur ajoutant des points que les pourcentages étaient dopés. Il faut supprimer les délibérations et mettre en place les conditions d’enseignement et d’apprentissage pour relever le niveau à terme », poursuit Augustin Ntchamande. « Autant supprimer officiellement les délibérations comme ce fut le cas pour les oraux. Que vont donc faire les enseignants dans les jurys de délibérations au moment où la digitalisation permet d’enregistrer les notes après les corrections ? L’Obc devrait aligner sa façon de faire sur le Gce Board », propose Pierre Ndoubia, autre enseignant.
Quoiqu’il en soit, il s’agit d’une mauvaise nouvelle pour les promoteurs de quelques 400 Ipes (instituts privés d’enseignement supérieur), qui puisent dans ce vivier les éléments nécessaires à la fructification de leur business.
S.M