Les instituteurs manifestent leur ras-le-bol

La colère des maîtres d’école

Ils ont abandonné les classes pour faire entendre leurs revendications.
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Il est 11h30 à l’école publique de New-Bell Aviation-Ngangue, dans l’arrondissement de Douala 2ème. Six enseignants sont debout sous un arbre dans la cour. Ils discutent à voix haute. Au centre de leur conversation, la revalorisation de leur condition de travail et un ensemble de griefs y relatifs. Le ton est plutôt dur. Les visages sont crispés. Huit autres enseignantes des groupes 1,2,3 et 4 sont assises sur des chaises près des salles de classe. A la faveur de la grève en cours, elles n’ont pas rejoint leur poste habituel depuis le matin. Elles se tournent les pouces. Deux d’entre elles en profitent pour se refaire les tresses. Les voix des élèves sont perceptibles depuis la grande cour. Si au Ce1 du Groupe 1, la tête des mômes est aux jeux bruyants, au Cours préparatoire (Cp), un élève au tableau mime l’enseignante absente. C’est la situation qui prévaut ici depuis le lundi 14 mars 2022.

« Nous sommes en mode ‘’Trop C’est Trop’’. C’est notre ras-le-bol. On en a marre. Depuis hier (lundi), nous avons déclaré « Craie Morte » après l’exécution de l’hymne national», indique une enseignante du groupe 4, le visage serré.

Les institutrices indiquent que les cours sont interrompus. Les élèves sont maintenus en classe. Ils prennent part à la pause et ne regagnent leur domicile qu’à 15h, heure de sortie. Les enseignants mécontents égrainent un long chapelet de revendications. Il y a ce maître de parent en service depuis 2015 sans salaire, sans intégration. Déjà trois dossiers d’intégration constitués, en vain. « On m’avait chassé, puis rappelé. Mais toujours rien de changé sur ma situation. Je paie des mandats de 25 000 F. Cfa à chaque dossier. Nous sommes assez clochardisés », déplore Guy Bertrand Wadja.
L’école maternelle s’y mêle
Il y a cette autre enseignante qui revendique 14 ans de service et toujours en statut IC 3. « Mon dossier n’est toujours pas traité », fustige -t-elle.

 

Dans le lot des revendications en somme, les instituteurs demandent le rappel des primes de sujétion, l’intégration systématique à la fonction publique, les avancements, les primes de technicité, le rappel des vacations, entre autres.

 

A l’école maternelle juste à côté, les institutrices sont également de la partie. Assises hors des salles, elles discutent à voix basse. Elles ont l’air épuisé. « J’ai envie de dormir. Il faut que demain j’apporte une natte », ironise l’une d’elle. Ici, on assure que les tout-petits sont surveillés. Les heures de pause sont respectées. Les allées aux toilettes et les heures de sortie aussi. Mais aucun enseignement dispensé.
Autre lieu, école publique de New-Bell Bamiléké. Les enseignants, une dizaine, sont assis sur des table-bancs rangés dans un couloir d’un des bâtiments. Une enseignante allaite son bébé. « Elle a déjà passé neuf ans sans recrutement. Le bébé est devenu son assistant », indique une collègue. Qui fait savoir qu’une autre institutrice du Cm2 (Groupe 4) se retrouve dans la même situation. Ici, les enseignants indiquent que la grève est portée à sa quatrième semaine. Le manège est le même depuis tout ce temps.

 

« On arrive le matin. On met les enfants en classe. On se regroupe dans la cour. Quand il y a du soleil, on va dans le couloir des salles. Une maîtresse de parent, lasse d’attendre son intégration depuis neuf ans s’est reconvertie en vendeuse de bâtons de manioc et mets de pistaches. Elle nous octroie souvent des prêts pour que nous puissions nous alimenter et ne pas mourir de faim », raconte une institutrice, la mine serrée.

« Circulez! »
L’institutrice d’arrondissement est déjà descendue ici trois fois. Mais aucune résolution à date pour apaiser le cœur des grévistes. « C’est assez pénible parce que rien n’avance. Aucune revendication n’aboutit. Les leçons à dispatcher sont à l’arrêt », déplore un autre enseignant. A l’école publique de Bonewonda, où le mouvement de grève est également suivi en partie, quatre enseignantes ont pris place mardi matin sur des chaises hors des salles de classe. L’une des directrices de cette école, visiblement très remontée, a interrompu l’entretien du reporter après avoir pris connaissance de l’objet. « Ça ne nous concerne pas. Sortez! », a-t-elle lancé au reporter sur un ton colérique.
Mathias Mouendé Ngamo

Le primaire en grève
Yaoundé. Plusieurs écoles de cet ordre d’enseignement observent depuis lundi 14 mars, le mot d’ordre lancé par le Syndicat national des instituteurs contractuels et maitres.
Le complexe scolaire bilingue d’Ekounou grouille d’élèves dans la journée du 15 mars 2022. Dans les salles de classe, l’on se croirait dans un marché malgré la présence des enseignants. Certains crient, sautent, courent, mangent, ou jouent aux claquettes. D’autres somnolent. Dans la cour, des élèves font des mouvements de va et vient. Il est 12 h quand ils prennent d’assaut la cour de récréation. . Ils sont du groupe de midi. Ils attendent que le groupe du matin libère les salles de classe à 12 h30. Dans une classe de section d’initiation au langage (Sil), les élèves sont abandonnés à eux-mêmes. « La maitresse est partie parce qu’elle a eu deuil », confient les élèves. Ils dorment, crient et sortent dans la cour.

Tout près, en salle du cours préparatoire, sur le tableau, un schéma sur la seringue est visible. Les têtes baissées, les yeux rivés sur le tableau, les tout-petits essayent de reproduire le schéma dans leur cahier. A l’angle de la classe, l’enseignant les observe.

 

Quelques minutes après, place aux chants. C’est le seul cours dispensé de toute la matinée. Une trentaine de minutes plus tard, le son de cloche retentit. C’est la fin des cours pour le groupe 1. Dans la cour, les élèves du 2e groupe se précipitent à regagner les salles de classe respectives. Des enseignants qui trainent le pas à les rejoindre. « Nous sommes fatigués de travailler sans un salaire raisonnable », confie une enseignante. « J’espère que le gouvernement va tirer les leçons de la grève des enseignants du secondaire. Si rien n’est fait au niveau du primaire, l’éducation est mise en berne », a-t-elle ajouté. Depuis le lundi 14 mars 2022, les enseignants des écoles primaires aussi ont rejoint le mouvement d’humeur des établissements de l’enseignement secondaire.
À l’école publique d’Ekoumdoum, la situation est presque la même. Soumis également au système de mi-temps et journalier de cours, il devient de plus en plus difficile pour les enseignants de cette école de dispenser les cours. Au portail, quelques élèves sont assis. Dans l’enceinte de l’établissement, c’est un calme plat qui règne. Les enseignantes ont mis la leçon à copier au tableau et ont pris place au fond de la salle. L’heure n’est pas aux explications. « Copier le cours et fermer vos bouches », gronde une enseignante. Plus loin, dans une salle de classe, une enseignante se contente à faire le choix de ses bijoux.

 

Sur le tableau, aucune note n’est mentionnée. Les élèves dorment et bavardent.

 

« Nous sommes conscientes des mauvaises conditions des enseignants du primaire, mais je leur demande de supporter. Surtout que la majorité de nos enseignants sont des femmes. Nous espérons que notre situation puisse changer un de ces jours », a déclaré Germaine Mengbwa, directrice du groupe B1 pour dissiper toute éventualité de grève au sein de son établissement. Un tour à l’école publique d’Ekié et l’école publique d’Emana ont permis de déceler le même climat dans le déroulement des cours.
Marie Laure Mbena

« Craie morte » dans le primaire
Bertoua. Les enseignants ont pris le train du mouvement de grève, bien qu’encore timidement suivi.
Les enseignants du secteur primaire sont également en grève depuis le 14 mars 2022 , il est question pour les chevaliers de la craie de cet ordre d’enseignement non seulement de soutenir leur collègues du secondaire mais aussi d’attirer l’attention des décideurs sur les tares qu’ils subissent au quotidien . « Nous ne sommes pas contents, donc nous exprimons aussi notre mécontentement au regard de notre situation et par de dessus tout, nous voulons faire comprendre à la communauté nationale et internationale que nous soutenons entièrement la cause défendue par les enseignants du secondaire », scande Mariam félicité Fetzeu, une directrice d’école.
A Bertoua, le mot d’ordre « craie morte », lancé par les enseignants du secondaire monte en intensité, l’adhésion des enseignants du secteur primaire ne se fait ressentir que progressivement : « Tous les collègues n’ont pas encore pris la température du mouvement lancé , en plus ici on se connait tous , il est donc difficile d’animer un mot d’ordre de grève à cause des représailles de toutes natures, mais je crois que d’ici la fin de la semaine toute la région sera imprégnée », prédit avec vigueur Jean Stéphane Alondja. Pour l’instant le mouvement est timidement suivi dans la région de l’Est.

Considérée comme une zone d’éducation prioritaire, la région fait face à de nombreux défis notamment le manque d’enseignants, les infrastructures, à cela s’ajoutent les difficultés telles l’éloignement des établissements , le manque du matériels didactiques, les coupures d’électricité, l’absence de logements des enseignants etc. …..

 

Tous ces manquements sont comptabilisés dans les revendications des enseignants qui espèrent trouver solution dans les prochains jours.
Charles Mahop

La grève largement suivie
Ngaoundéré, Maroua et Garoua. Depuis lundi dernier, les enseignants du primaire observent le mot d’ordre. Les membres du mouvement « trop c’est trop » réclament la régularisation de leur situation.
Les enseignants du primaire des régions de l’Extrême-Nord, de l’Adamaoua et du Nord sont en grève depuis le lundi 14 mars 2022. Ils réclament la régularisation de leur situation.

C’est à l’école publique de Founangué et à l’école bilingue de Domayo de Maroua que la grève des enseignants du primaire a été plus suivie.

 

Les enseignants de ces écoles ont fait le déplacement sans entrer dans les salles de classes où les écoliers les attendaient. Par petit groupe, ils discutent de la stratégie à adopter face aux autorités administratives. Entre menaces des directeurs d’écoles et du délégué départemental de l’éducation de base du Diamaré, les enseignants du mouvement « Trop c’est trop » sont restés fermes face à leurs réclamations. « Nous sommes fatigués. Trop c’est trop. Nous n’entrerons pas en salle de classes tant que notre situation n’est pas résolue. Je suis là sans salaire. Je dois dépenser chaque jour 600 FCFA pour venir enseigner en retour je ne reçois rien », déplore Marie-Noëlle, une enseignante de Maroua. La situation est identique à l’école publique de Palar et Zokok. Ici, les enseignants bien que présents dans l’enceinte de leur établissement, ne dispensent pas les cours.

 

« Nous payons parfois pour être intégrés. Les dossiers se perdent dans les couloirs du ministère de l’Education de base et du ministère de la Fonction publique. Je ne vous parle pas des recensements que nous effectuons », confie Saliou Moulet, un enseignant gréviste.

 

Et d’ajouter : « Nous voulons une résolution définitive de notre situation ».
Dans le département du Mayo-Danay, c’est hier mardi 15 mars 2022 que les enseignants des écoles primaires sont entrés en grève. A Vélé, Maga et Yagoua le mouvement « trop c’est trop » prend corps. « Certains collègues sont encore réticents. Nous les sensibilisons sur le bien-fondé de ce mouvement. Il ne s’agit pas d’un mouvement des enseignants non intégrés ou qui réclament les avancements. Il s’agit de l’amélioration des conditions de travail de l’enseignant du primaire en général » renchérit Victor Limangana.
A Ngaoundéré, dans certaines écoles, les directeurs d’écoles ont renvoyé les écoliers à la maison peut avant 12 heures. Le mouvement de grève a été suivie dans les écoles du centre urbain de Ngaoundéré. A l’école d’application de la gendarmerie et du groupe 5, les enseignants ont répondu tous présents à l’école mais n’ont pas fait cours.

 

« Nous avons écrit au tableau la date du jour pour marquer notre présence à l’école. Nous sommes dehors et les enfants profitent en relisant les cours. Tant que notre situation n’est pas prise en considération par le gouvernement, il y aura pas cours », insiste une enseignante membre du mouvement « trop c’est trop ».

 

Dans la ville de Meiganga, le mouvement de grève est très suivi dans les écoles du centre urbain de la ville. La situation est identique dans les villages où les enseignants menaçaient déjà d’entrer en grève. « Il y a trois mois nous avons fait savoir au préfet du Mbéré et au délégué départemental du Minedub que si notre situation ne s’arrangeait pas nous allons cesser de travailler au second trimestre. Aujourd’hui, nous remarquons un manque de volonté du gouvernement d’apporter des solutions définitives à nos revendications », a expliqué Haouaou Halil, porte-parole du mouvement « trop c’est trop » dans le Mbéré. Selon elle, depuis 11 ans elle est sans salaire, sans avancement. 70% des enseignantes du primaire dans le département du Mbéré sont dans la même situation. Situation qui concerne aussi les chefs d’établissements et certains inspecteurs de l’Education de base dans le département du Mbéré.
Dans la région du Nord, c’est seulement hier mardi 15 mars que les enseignants sont entrés dans la danse de la grève. Les points focaux du mouvement évaluent le taux à 50% pour la journée du mardi 15 mars 2022. « Nous avons lancé la grève seulement hier mardi. Il fallait informer les autres collègues des autres départements et des écoles de la périphérie. Demain mercredi le taux de participation à la grève sera meilleur. Nous utilisons le téléphone pour informer les collègues qui ne sont pas au courant. On rappelle aux uns et autres qu’il faut être présent à son poste. Ecrire la date du jour au tableau et revenir s’associer avec les autres dans la cours de l’école. Ne pas céder à la provocation ou les intimidations du directeur ou d’une autorité administrative », a expliqué Jean Claude Hamidou, le porte-parole des enseignants grévistes dans la région du Nord. Selon lui, le mouvement ne concerne pas seulement les enseignant non intégré à la fonction publique encore moins ceux travaillant dans les écoles publiques. « Nos collègues nommés dans les lycées au poste d’intendants, d’économes ou autres sont aussi concernés. Le retour du mouvement de grève est bon. Ils ont aussi rejoint le mouvement Ots dans leurs établissements respectifs », renseigne-t-il.

Le porte-parole du mouvement « trop c’est trop » a expliqué que la grève prendra fin quand les revendications des enseignants trouveront solution.

 

Sur les trois régions septentrionales, les enseignants du primaire se disent satisfaits de la mobilisation et de la participation des enseignants à la grève. Ils annoncent le durcissement de l’opération « école morte » dès la semaine prochaine si aucune solution n’est trouvée aux revendications des enseignants relevant du ministère de l’Education de base (Minedub).
Adolarc Lamissia

Claude Tadjon

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