Littérature

Honorée par l’Université Sorbonne Nouvelle, Djaïli Amadou Amal se confie à Le jour

Amal

 

Que représente pour vous l’écriture romanesque ?

L’émotion, le rêve. Mais pour moi, c’est surtout l’engagement ! L’idée qu’à travers l’écriture on peut faire évoluer positivement une société, la changer ! L’université de Sorbonne Nouvelle vous décerne un Doctorat Honoris Causa. Comment accueillez-vous cette consécration ? Je précise que cette prestigieuse distinction m’a été décernée « en hommage à mon parcours et pour la contribution éminente de mes oeuvres aux arts et aux lettres, notamment en faveur de la francophonie et de la cause des femmes ». C’est bien là une autre distinction que j’accueille avec fierté et gratitude. C’est un honneur de la recevoir, mais c’est surtout un encouragement pour mon engagement littéraire et militant. Vous êtes sur la voie de Annie Ernaux, le dernier Nobel, à qui une certaine critique a reproché d’avoir uniquement vendu son intimité…

Peut-on sortir du ‘’moi’’, lorsqu’on écrit ?

Oui, bien sûr qu’on peut sortir du « moi » lorsqu’on écrit. Je vous prierai pour cela de lire mon roman Mistiriijo ; la mangeuse d’âmes, ou encore ma dernière parturition, Coeur du Sahel. Il ne s’agit pas du « moi » dans ces romans et encore moins de l’intimité. Il s’agit des romans historique et sociologique pour l’un, historique, sociologique et géopolitique pour l’autre, sous fond de la thématique de la condition de la femme. C’est donc un faux procès, dans lequel bien entendu, je ne me reconnais absolument pas. Quant à mes deux autres romans, car j’en ai écrit quatre, je précise qu’il ne s’agit pas non plus des oeuvres autobiographiques. Certes je me suis inspirée de mon vécu, mais aussi des faits de ma société.

Ne dit-on pas qu’un écrivain est le miroir de sa société ?

Pour le reste, mon engagement littéraire exprime toute la considération et le caractère impérieux que j’accorde à l’acte d’écrire en lui-même. Plus généralement, je ne pense pas qu’il soit concevable de vouloir dicter à l’écrivain un champ d’écriture. L’écrivain est souverain de ses thématiques, celles qu’il décide de traiter dans ses ouvrages. Il n’a besoin de personne pour cela. Votre engagement féministe devrait tout de même vous conduire à prendre position dans la vie politique de votre pays… Mais vous êtes muette sur la vie politique camerounaise. Permettez-moi de dire avant tout que mes ouvrages, autant que mes interventions autour de ceux-ci dans les médias, expriment ma voix et surtout mes convictions sur bien des aspects de la vie camerounaise, dont politique. Je m’exprime en des circonstances que je juge utiles, et je l’ai toujours fait depuis la publication de mon premier roman en 2010. A titre d’exemple, en 2021 j’ai prononcé un discours au congrès des femmes camerounaises pour la paix, puis au congrès de Rifav (Réseau international des femmes avocates). Deux évènements d’envergure qui se sont tenus au Palais des congrès de Yaoundé. Pour tout dire, les muets ne sont pas forcément ceux qui ne crient pas dans le brouhaha de la société qui est la nôtre.

Une distinction que j’accueille avec fierté 

Ne craignez-vous pas que votre succès en tant qu’écrivaine puisse masquer un ensemble de réalités encore bien tristes dans le Sahel ?

Ce serait donc un paradoxe, dans la mesure où mes écrits sont axés sur les maux qui minent cette région, du moins sous l’angle de la condition de la femme. Voilà qui ne serait donc pas de la responsabilité de l’écrivaine que je suis, et qu’il faudrait sans doute chercher les causes ailleurs. Pour le reste, je souligne ici que le succès d’un écrivain exprime l’impact de ses convictions sur la société, c’est-à-dire ce pourquoi il ou elle écrit.

Qu’auriez-vous écrit si vous n’aviez pas connu le périple conjugal qui a été le vôtre ?

Mistiriijo ; la mangeuse d’âmes et Cœur du Sahel, évidemment. C’est sans doute la réponse à votre question. (Rires) sauf que j’ai déjà écrit ces romans ! C’est dire que mon inspiration n’a rien à envier à ma vie intime. Suite à votre Goncourt des Lycéens, il y a eu une levée de boucliers des traditionnalistes…

Que leur dites-vous ? Quelle importance donner à tout cela ? Quelle considération accorder à ce mot « traditionnaliste » dans notre société ? Qui sont-ils, ces traditionnalistes que vous évoquez et quelle compétence et légitimité ont-ils pour s’arroger du titre que vous leur accordez ici ?

De ce que je sais, ceux qui gesticulent généralement ne me lisent pas, ni ne viennent à mes conférences poser des questions. Ils se font le plus souvent des fixations et s’en tiennent à celles-ci. Le temps qu’on y est, ils ont dit aussi que je suis contre l’islam. Et ce alors même que mes ouvrages ont été plébiscités dans le monde arabe, traduits et lus dans le monde arabophone.

Pensez-vous qu’un tel succès serait seulement possible si mes ouvrages portaient une seule ligne qui allait à l’encontre de l’islam ?

Nous sommes dans une société d’amalgames, et le rôle de l’écrivain est de mettre le doigt sur ce qui mine la société, qui la détruit. Dans cet esprit, je tiens à souligner qu’un roman n’est pas un essai ou je ne sais quoi d’autre de ce genre. A l’image d’un métrage cinématographique, le roman raconte une histoire, plus ou moins inspirée de faits réels, à travers ses personnages. En lisant l’histoire, le lecteur la confronte à sa propre vie et tire éventuellement des leçons utiles à sa conduite. Je raconte l’histoire des femmes ! Leurs souffrances au quotidien. Une tradition ne vaut que si elle ne crée pas de souffrance, si elle ne brise pas les destins. Dans toutes les traditions il y a du positif mais, hélas, aussi du négatif. Les traditions nous viennent de nos ancêtres, et chaque génération a pour mission de les adapter aux réalités et défis de son temps. C’est à cette seule et unique condition qu’elles seront pérennisées. Une tradition qui n’évolue pas pour s’adapter aux réalités de son temps est sans aucun doute vouée à disparaître. Voilà qui éclaire sur la mission de l’intellectuel et donc de l’écrivain. J’écris en toute indépendance d’esprit, et nul ne me détournera des convictions auxquelles je suis attachée.

     J’écris en toute indépendance d’esprit, et nul ne me détournera des convictions auxquelles je suis attachée.

Vous êtes désormais une écrivaine à succès, qui va d’avions en avions. Que devient votre foyer ? (Rires)

Je ne sais pas si c’est à moi de répondre à cette question. Ceci étant, je dois simplement vous assurer que mon époux et mes enfants sont mes fervents soutiens et m’encouragent dans ce périple haletant. Ils mesurent l’importance et la valeur de ce que je fais, ils se sont réorganisés pour intégrer la nouvelle donne, et notre vie s’est parfaitement adaptée à celle-ci. Certes les voyages se sont intensifiés avec le Goncourt des Lycéens, mais j’ai toujours voyagé depuis 2010, l’année de la publication de mon premier roman et le succès immédiat qui s’en est suivi. Je suis heureuse de pouvoir pleinement compter sur ma cellule familiale. Pour tout dire, mon foyer se porte très bien ! Alhamdulillah ! Je rends grâce à Dieu ! Pabe Mongo a fêté la semaine dernière ses 50 ans d’écriture…

Que représente-t-il pour vous ?

Pabe Mongo m’a accueillie à mon arrivée à Yaoundé dans le Cercle de la Nolica (Nouvelle Littérature Camerounaise). J’y ai participé aux ateliers de l’écriture. Ce fut l’une des étapes fondatrices de ma carrière d’écrivaine. C’est le lieu de rappeler ici que mon dernier roman Cœur du Sahel lui a été dédicacé en référence à la sollicitude qu’il me témoigna à cette période.

A quand le prochain roman de Djaïli Amadou Amal, et de quoi parlerait-il ?

J’achève dans quelques semaines la promotion de mon dernier roman, Cœur du Sahel, paru au mois d’avril dernier. Puis, je m’organiserai en conséquence. On en parlera en temps opportun !

Haman Mana

Author: Haman Mana

Haman Mana Directeur de la publication, est journaliste et éditeur. L'écrit est sa passion. Il prête sa plume aux combats pour les libertés, en particulier celle d'informer. Il a été, au cours des trente-cinq dernières années : reporter à Cameroon Tribune, secrétaire de rédaction à Le Messager de Pius Njawe, directeur de Mutations...Le reportage, l'éditorial et le billet d'humeur sont ses genres de prédilection.

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