Nécrologie

Monda Bakoa rend hommage à Christian Wangue

Chargé de Mission à la présidence de la République, l’ex journaliste-vedette de la Crtv rejoint l’éternité… Sur la pointe des pieds. Comme pour ne gêner personne. Après avoir souffert d’incompréhensions, sa vie durant. Comme tout génie ayant eu le tort d’avoir raison trop tôt.
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Cela relevait de l’inédit en ce mois de janvier 1985.  Du jamais vu à l’Essti, Ecole supérieure des Sciences et Techniques de l’Information de Yaoundé. Pareil événement ne s’était produit depuis la création, en 1973, de cette prestigieuse institution de formation de journalistes. Au moment des faits, notre promotion était à son année de sortie. Avec pour leitmotiv, « plus rien ne sera comme avant ». La cuvée d’impétrants se jurait de révolutionner la profession, au Cameroun. Barbara Etoa, Joseph LE, Jean Atangana, Jean Lambert Nnang, Mbella Essengué, Hugues François Onana, Full Peter, Michel Moindjel, Jean François Guegang et les autres allaient bientôt crever l’écran… de la première née des chaines de télévision, la Crtv. Il était coutumier, pendant les cours que nous nous exercions sur des textes de certains orfèvres de la plume, Henri de Bandolo de Cameroon Tribune ou Jean Daniel du Nouvel Observateur. Nos maîtres, à l’instar du linguiste Jean Tabi Manga, nous aidaient à décortiquer ces chefs d’œuvre, pour nous forger à la bonne écriture…

Ce matin-là, contre toute attente, ce fut le manuscrit d’un parfait inconnu que Jean-Paul Gauch, le chef de département de Presse écrite, soumettait à notre exégèse. Ni plus ni moins que le devoir d’un élève de première année, de deux ans notre cadet. C’était difficile à imaginer à la lecture de cette prose poétique, savamment agencée. L’article était accrocheur et limpide. Le style, sans fioritures. Le choix des mots judicieux. Du talent à l’état brut. Un grand cru, somme toute, signé par un novice qu’en troisième année, personne ne connaissait : Christian Wangue.

Inutile d’ajouter qu’à l’heure de la pause, bon nombre d’entre nous, nous sommes rués vers la salle « des première année » pour découvrir le précoce prodige. Lequel méritait toute notre considération et nous incitait, par sa prouesse, à plus d’ouverture d’esprit et à moins d’orgueil. Nous découvrions un jeune homme courtois, respectueux des aînés, faussement timide. Face à ce groupe de finissants qui le congratulaient, Christian Wangue affichait bien plus de la surprise que de la fierté. Au premier contact, on le sentait futé, voire espiègle, à travers un humour fin qui allait très vite se débrider au fil des rencontres. Avec le temps, on allait mieux le connaître, et découvrir son côté anticonformiste. Le jour de la soutenance de son mémoire, deux ans plus tard, il arrive en retard. Seul Christian était capable de cette impardonnable hérésie et de s’en tirer sans fracas, dans cet antre de discipline d’où bon nombre d’ainés étaient sortis, sans diplôme, pour des peccadilles bien moins insignifiantes. Curieusement, en effet, au moment où le Jean-Paul Gauch – promu directeur adjoint entre temps –  tance le retardataire pour pareille « insouciance pour sa carrière », il devra réprimer un sourire, pour préserver la stature qu’exigeaient son rôle et les circonstances. C’est que Wangue répondit, placide : « Ma carrière est derrière moi, monsieur le directeur. Je suis déjà journaliste ».

Détachement

De fait, l’intelligence, le talent et la pugnacité de Christian Wangue faisaient de lui, en quelque sorte, un garçon en avance sur son temps. Pour certains, un gêneur. A certains moments, il en payé le prix, comme Galilée et tous les incompris qui ont eu le tort d’avoir raison trop tôt. Lorsqu’on regarde son parcours à posteriori, on pourrait se demander s‘il n’était pas comparable à cette bonne semence de la parabole de Jésus, laquelle ayant poussé, est vite étouffée par les ronces. Mais ce fut un battant d’une activité débordante, présent sur mille chantiers à la fois. Au moment où il est éjecté de la Crtv, il prévient sa hiérarchie : « Je reviendrai dans cette maison par le sommet ». La prophétie sera accomplie. Sur deux décennies, il trônera sur la tour d’aluminium, comme membre du conseil d’administration représentant la présidence de la République. Avec un détachement des questions matérielles et un attachement aux choses de l’esprit procédant sans doute de cette lecture de la vie qui fit dire au sage, il y a des millénaires, « tout est vanité ».

De fait, dans le quotidien, le plus difficile avec Christian était, sans doute, sa totale discrétion sur tout ce qui le concernait. Cachotier à la limite, Il était disert sur son être, ne se plaignant jamais. A ce propos, son promotionnaire Chérif Ibrahim, directeur du pôle central chargé de la télévision à la Crtv, disait de ce natif de la forêt Pout Baba, dans la périphérie de Ngambe, en Sanaga Maritime, qu’il était Peulh ! C’est-à-dire assimilable à un membre de cette ethnie des princes des steppes sahéliennes qui disent toujours, sans nuance, « ça va très bien », même dans les moments les plus dramatiques. Dans son témoignage publié, au lendemain de son décès, le 24 octobre 2022, Barbra Etoa rapporte la réplique de Christian, un jour qu’un collègue, à la vue de sa mauvaise mine, lui demanda, s’il était malade. Réponse, pince sans rire : « Non, je me porte bien. C’est juste que je suis laid ». A une étape de la maladie qui allait l’emporter, un côté de son visage s’était déformé, en pleine hystérie covidique. Il ironisa en évoquant ce mal, « Heureusement que la mode est au port de masques ».

A l’inverse, Christian Wangue était en permanence au service des autres. Tout au long de sa vie active, Il s’est dévoué à la cause de la profession de journaliste et des journalistes, même après son master en diplomatie obtenu à l’Institut des Relations internationales (Iric). Même du haut de son piédestal de chargé de Mission à la présidence de la République où il a été conseiller technique intérimaire pendant treize ans. Témoignant de son altruisme, Jean Atangana dit de lui qu’il a été « un génie de traite, tellement nous sommes abreuvés à son puits de générosité, de disponibilité et de partage, si discrets, si efficaces, de science et de connaissance ». Ainsi quitte la scène un bienfaiteur auquel la société n’aura pu suffisamment rendre son amour. Un commis de l’Etat, un serviteur auquel l’administration n’aura pas suffisamment reconnu les mérites.  Un homme, à la fois fragile et fort qui a gardé ses soucis pour lui, sa maladie pour lui. Celui que ses condisciples surnommaient La Pointe nous quitte sur… la pointe des pieds. Comme pour ne gêner personne.

Monda Bakoa

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