Grève des enseignants

De graves perturbations à la fin du 2eme trimestre

L’impact sur les activités pédagogiques.
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Difficile fin des cours

Ouest. La grève bloque l’organisation des activités liées à la fin du deuxième trimestre.

C’est hier, 23 mars 2022, que les élèves ont terminé la quatrième évaluation dans un lycée technique du Ndé. Il faut, pour être honnête, dire « la plupart des élèves » et non tous, parce que depuis le déclenchement de la grève et le débrayage de leurs enseignants, certains qui trouvent désormais inutile de se rendre à l’école pour ne pas avoir de cours ou parfois se voir sanctionner par les surveillants généraux, du fait d’une mauvaise conduite, ont boudé les cours des enseignants vacataires. Et dans un coin où le métayage champêtre paie aussi bien que l’activité de mototaxi, certains ont vaqué à autre chose et sont revenus quand les enseignants avaient décidé, au cours d’une réunion de crise avec le proviseur, de sauver le trimestre, en évaluant à titre exceptionnel, à partir de mercredi dernier. Ils ont alors fait des sujets qui ont redonné vie à la structure. Une situation qui n’est pas identique à celle du Lycée bilingue voisin. « J’ai eu la chance que mes enseignants rattrapent la grève avec une semaine de retard, se vante le proviseur. Du coup, certains qui sont lents dans la correction, ont eu le temps de bien corriger les copies. Je ne peux cependant pas vous assurer que les notes seront reportées, après des corrections efficientes en classe comme d’habitude».

 

A ce jour, certaines activités comme le remplissage des notes, le calcul des moyennes, les conseils de classe devaient avoir été organisés.

 

Dysfonctionnements

En principe, explique un inspecteur de pédagogie, il ne faut pas confondre la fin du deuxième trimestre avec la date du départ en congé de Pâques, fixée le 8 avril prochain. « La circulaire interministérielle fixant les périodes d’interruption de classe en République du Cameroun est claire : le second trimestre a démarré le lundi 29 novembre 2021, pour s’achever le vendredi 4 mars 2022, avec une période d’interruption du 18 décembre 2021 au 2 janvier 2022 », résume-t-il. Autrement dit, les activités comme cette composition tardive interviennent deux semaines au moins après sa programmation judicieuse et dans le temps de travail du troisième trimestre. A ce jour, certaines activités comme le remplissage des notes, le calcul des moyennes, les conseils de classe devaient avoir été organisés.

Cela, c’était sans compter avec les aléas de la Coupe d’Afrique des Nations, notamment la réduction du temps de fréquentation. Jusque-là, les parents se plaignaient des lacunes non corrigées de l’année Covid (2019 -2020), où de nombreux élèves furent promus avec 08/20 de moyenne, après six mois de cours. En 2020-2021, l’année scolaire a duré huit mois. « J’ai pris des répétiteurs pour mes enfants. Je connais le fonctionnement du gouvernement. Il ne va prendre aucune disposition ni pour corriger les lacunes anciennes ni pour rattraper le travail qui n’est pas en train d’être fait. La date des examens approche et je ne suis pas sûr qu’on va la changer. Le drame, c’est que cela  amène mes enfants à être en avance par rapport à la progression de l’école. Ça risque de créer des incompréhensions », explique Charles Wankio, père de trois lycéens. La psychologie des enfants est affectée. « Je ne sais pourquoi on part encore à l’école. Nos maîtresses ne font rien. Quand nous arrivons le matin, elles nous demandent de nous coucher et de dormir. Quand tu bavardes, on te met devant et on te fouette. Elles disent qu’elles vont recommencer à prendre soin de nous quand on va payer leur argent », rapporte Esther J. Tewou, 4 ans, pensionnaire de l’Ecole maternelle du Centre urbain de Dschang, demandant au passage dans sa naïveté si sa mère ne peut pas lui donner un peu d’argent pour aller résoudre le problème. « Elles veulent beaucoup d’argent, le genre que je n’ai pas », lui a rétorqué une maman confuse.

Flore Edimo

 

 

Moins de 20% des programmes couverts

Adamaoua. Conséquence de la grève des enseignants du mouvement « On a trop supporté ».

Le taux de couverture des programmes dans les établissements secondaires de la région de l’Adamaoua est en deçà des attentes, à la fin du 2ème trimestre de l’année scolaire 2021/2022. Cette perturbation est due selon plusieurs chefs d’établissements à la grève des enseignants réunis autour du mouvement « Ots », lancé depuis le 21 février 2022. Après un mois de grève, selon les responsables de la délégation régionale des enseignements secondaire de l’Adamaoua, seulement 16% du programme scolaire a été couvert sur l’ensemble de la région. Dans les cinq départements que compte la région seulement quelques établissements de l’enseignement générale et technique échappent au conséquences néfastes du mouvement Ots. Dans le département de la Vina, seul le lycée classique et moderne de Ngaoundéré observe actuellement une grève timide. Après avoir fait grève la deuxième semaine, les enseignants de ce lycée sont revenus à de meilleurs sentiments. Ils tiennent à respecter selon plusieurs enseignants les engagements pris avec les élèves et les responsables de l’établissement. « Je fais cours chaque jour. L’objectif pour moi est de permettre aux élèves d’être à jour avec nos programmes d’enseignements. Je ne souhaite pas mettre en parenthèse l’avenir d’un enfant pour mes revendications » confie une enseignante du lycée classique et moderne de Ngaoundéré.

 

Au lycée de Ngaoundéré Sabongari le taux de couverture des enseignements est de 20% selon les responsables de l’établissement.

 

Le même argument est soutenu par certains enseignants de ce lycée qui veulent se hisser parmi les meilleurs établissements du Cameroun. Le proviseur du lycée classique et moderne de Ngaoundéré est tout satisfait de ses collaborateurs et collègues enseignants. « Les enseignants de mon lycée ont pris acte des mesures gouvernementales et j’ai expliqué à chaque enseignant de mon lycée que nous avons aussi un devoir de mémoire et d’engagement vis-à-vis de nos apprenants. Il y a eu perturbation aux premiers jours de la grève, maintenant les cours se font chaque jour et les enseignants sont présents  », explique Alfaki Dogo, le proviseur du lycée classique et moderne de Ngaoundéré. Les élèves eux sont satisfaits de la qualité des cours dispensés. « Nous faisons cours chaque jour. Il n’y a pas grève dans notre lycée. Nous voulons juste revenir à l’ancien système, celui de la journée continue. Actuellement c’est le système de mi-temps » affirme Laminou, un élève de la classe de Tle au lycée classique de Ngaoundéré.

Au lycée de Ngaoundéré Sabongari le taux de couverture des enseignements est de 20% selon les responsables de l’établissement. Ici, la grève du mouvement Ots est largement suivie. « Nous venons chaque jour au lycée et entrons dans les salles de classe sans faire cours. C’est notre manière de faire la grève. Notre mouvement est respecté et nous avons expliqué à nos élèves qui comprennent déjà le bien fondé de nos revendications », confie un enseignant membre du mouvement Ots. La situation est presque identique au lycée de Mardock, de Beka, de Malan, au lycée technique de Ngaoundéré… Dans les établissements en périphérie de la ville, le taux de couverture des programmes est faible selon plusieurs enseignants et chefs d’établissements secondaires. Dans un rapport envoyé au Minesec, la délégation départementale a répertorié 17 établissements secondaires dans la Vina où le mouvement Ots est suivi.

 

La grève va continuer tant que nous ne sommes pas satisfaits

 

Dans le Mbéré, la grève est largement suivie dans la trentaine des lycées et collèges de ce département. Idem dans le Faro et Deo. Ici, le taux de couverture des programmes scolaires ne dépasse pas les 15%. « Nous sommes les premières victimes de la mal gouvernance. Nous sommes décidés à aller jusqu’au bout de nos revendications. La grève va continuer tant que nous ne sommes pas satisfaits »  a confié par téléphone Aboubakar, un enseignant du lycée bilingue de Tignère. Selon lui, la grève est largement suivie dans les établissements secondaires du Faro et Deo. D’après ses explications, la 4ème séquence n’est pas passé dans l’ensemble des établissements secondaires du Faro et Deo à cause de la grève. Ce que confirment plusieurs inspecteurs pédagogiques à la délégation régionale du Minesec pour l’Adamaoua. Selon eux, une sérieuse menace pèse sur la tenue des examens officiels du mois de mai 2022. « Il est impossible actuellement de dire que nous allons respecter le programme de l’année. Il y a et il aura une incidence sur l’apprenant parce que nous sommes en retard. Il est impossible de finir avec les différents programmes », a confié sous anonymat un inspecteur pédagogique. Argument soutenu par certains parents qui se disent inquiets sur la suite de cette année scolaire. « Les congés de pâques c’est le 8 avril prochain et chaque jours les enfants repartent sans rien faire. Comment ont-ils évalué les enfants ? Mon fils m’a dit que ses camarades et lui se sont opposés à une évaluation parce que cette leçon n’avait pas été dispensée. C’est là notre peur », déclare Alhadji Nassourou, un parent d’élève. Certains chefs d’établissements ont fait recours,  sur instruction du Minesec, aux enseignants vacataires. L’objectif est de ne pas avoir une année blanche ou une année scolaire perturbée par la grève.

Adolarc Lamissia

 

 

Préparation des examens dans les pays voisins

Bertoua. C’est le choix de parents et de certains élèves vu l’ampleur de l’Opération craie morte.

Depuis le déclenchement de l’Opération craie morte, les enseignements dispensés dans les salles de classe a l’Est du pays, aussi bien dans le primaire que le secondaire connaissent d’énormes perturbations : « c’est une évidence, on ne tourne plus normalement et là vous comprenez que la progression dans la couverture des programmes est suffisamment perturbée », laisse entendre Elise Bakehe, enseignante de français.  Les enseignants entendent radicaliser beaucoup plus le mouvement craie morte si les principaux décideurs ne prennent pas en compte leurs revendications.

 

 

Les élèves sont abandonnés à eux-mêmes

 

Néanmoins, les élèves continuent de suivre les cours dispensés au compte goutte, sans toutefois avoir   le moindre devoir à la maison pour maitriser des leçons reçues en classe : « Je sais que le rythme des  cours a suffisamment pris un coup,  il y a eu la pandémie liée à la covid 19 , il y a eu la Can et aujourd’hui  il y a notre  mouvement de colère, et à chaque fois,  il y a toujours  interruption des cours, ce qui n’est vraiment pas bien et ce sont les enfants qui en souffrent »,   indique Martin Elig Meffa , enseignant  de SVT. Les élèves sont abandonnés à eux-mêmes, car ils ont du mal à profiter de leur année scolaire. Les élèves n’ont plus la possibilité de faire des évaluations car cet un exercice qui ne flatte plus les chevaliers de la craie : « J’ai déjà épuisé la quasi-totalité de mes fascicules et autres supports, les enseignants ne nous regardent même plus, ils ne s’intéressent plus à nos difficultés », se lamente Victorine Temfack de la terminale C au lycée de Tigaza. Son camarade, François Xavier Eding de la 1ere D du lycée Bilingue de Bertoua nourrit un regret : « Je ne sais pas pourquoi les parents ont payé les frais de scolarité cette année nous n’avons pas de contrepartie, c’est une année blanche masquée qui ne dit pas son nom ».

 

Nous sommes conscient qu’il y a eu beaucoup d’interruptions involontaires des classes cette année

 

Les parents, eux, méditent déjà le sort qui sera réservé à leurs progénitures au terme de l’année scolaire en cours : « Je ne m’attends pas à grand-chose cette année, pas parce que les enfants sont faibles, mais juste parce que les pouvoirs publics ont poussé les enseignants à la grève et ils ne dispensent pas les cours aux enfants », laisse entendre, révolté, Vincent de Paul Mekinda. Certains parents explorent la voie de l’exil pour sauver l’année scolaire de leur enfants : « Je prépare psychologiquement les enfants depuis plusieurs mois à affronter les examens officiels dans un pays voisins, et ils travaillent beaucoup dans ce sens, et j’en suis réjouis », clame Théophile Medjamba. Les chefs d’établissements eux font des efforts pour sauver l’année scolaire, et garantir un succès en fin d’année au maximum de leurs élèves : « Nous sommes conscient qu’il y a eu beaucoup d’interruptions involontaires des classes cette année, et ceci arrosé par la pandémie liée au coronavirus et le mouvement d’humeur des enseignants, sur ce,  les plus grands encadrent les plus petits et nous recrutons aussi des enseignants vacataires  pour les cours de remise à niveau dans les classes d’examen », indique Barthélemy Mvondo Mvondo, le proviseur du lycée de Tigaza.

Charles Mahop

 

 

 

« Les activités pédagogiques ont connu des perturbations »

Guibertine Irène Sorock. La proviseure du Lycée de Bantum, dans le Ndé, explique l’impact de la grève sur les activités de fin du deuxième trimestre.

Que représente la fin de trimestre dans le calendrier scolaire ?

La fin de trimestre représente de manière générale, aussi bien dans le primaire que dans le secondaire qui nous concerne, une pause après trois mois de cours, sanctionnés par les évaluations sur les plans administratif, pédagogique et disciplinaire. Au plan administratif, on note une évaluation du personnel administratif et enseignant sur trois mois, laquelle évaluation influence la valeur des primes de rendement. On fait également une évaluation de la performance des élèves avec remise de bulletins. Et enfin, au moins, des sanctions positives ou négatives sont appliquées aux apprenants á l’issue des conseils de discipline.

Avec la grève actuelle lancée par le collectif « On a trop supporté », ce moment crucial ne risque-t-il pas d’être compromis?

Tout est biaisé avec le débrayage : les activités pédagogiques ont connu des perturbations dans le déroulement des évaluations de fin de trimestre. L’assiduité du personnel comme celle des apprenants a pris un sérieux coup, ce qui rend difficile la tenue des conseils de discipline et une répartition objective des primes de rendement. Et pire encore, des enseignants grévistes gardent par devers eux les copies ou les notes des évaluations. Ce qui handicape la remise des bulletins de fin de trimestre.

Comment entendez-vous résoudre cette difficulté dans votre structure?

Le problème semble ne pas être à notre niveau. Le personnel administratif se tue à la tâche : nous continuons á dispenser les cours dans nos disciplines respectives, mais toutes les heures d’enseignement ne sont pas couvertes, malgré notre bonne volonté. Nous pensons, et au regard des solutions (en cours d’implémentation) apportées aux revendications des enseignants, que les cours reprendront dans les prochains jours, avec le paiement des salaires. Pour ce qui est de notre structure, une Assemblée générale extraordinaire est programmée le lundi, 28 mars 2022, dans l’optique de trouver les moyens de rattraper les heures perdues pendant cette trêve.

Propos recueillis par F. K.  

Claude Tadjon

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