Elsa Kane
C’est dans la petite ville de Soa, à moins d’une heure de route de Yaoundé que l’équipe de « Sahré Amine » a installé sa résidence de création musicale. Cet après-midi du 7 février, malgré la chaleur étouffante, les résidents sont dans leur classe. Ils sont au nombre de six, assis en face de la chanteuse Tao, promotrice de « Sahel Live » et de Divine Verkijika, administrateur et entrepreneur dans les industries créatives. Ce dernier a entretenu les participants sur la signature d’un contrat en production et édition musicales. « En général, j’essaie de donner une bonne compréhension du contexte ou bien de l’écosystème de l’industrie musicale au Cameroun. Pour que le jeune artiste comprenne non seulement les détails de ces contrats, pourquoi ils existent en quoi ces contrats d’édition et de production sont importants pour la carrière d’un chanteur », explique le manager d’artistes.
L’émergence de jeunes talents
« Sahel Live » a débuté le 30 janvier et s’achève ce 13 février. Six artistes soit deux par région : Adamaoua, Nord et Extrême-Nord sont sélectionnés à chaque édition sur la base de leurs éléments sonores et vidéos précédents. Ils doivent également avoir entre 21 et 35 ans. L’ambition de Tao est de faire émerger des talents du Grand Nord. Lesquels manquent souvent de visibilité à cause de l’absence d’infrastructures culturelles. Tao et « Sahré Amine » ont identifié 3 axes majeurs pour le renforcement des capacités de ces artistes. Ils effectuent un travail sur le chant ; notamment des exercices de vocalise ; la pratique du live, l’écriture musicale et la performance scénique.
« En tant qu’artiste, j’ai participé à des résidences à travers le monde. Il y avait un tel engagement, un tel professionnalisme que j’ai jugé nécessaire de partager cette expérience avec les autres. Au Nord, nous avons un déficit de formation, un déficit d’infrastructure. Mes artistes ont besoin de salles, de studios, etc. Cette résidence est un début de solution à ces problèmes », explique la native de Guider dans le département du Mayo-Louti, région du Nord. Cette mission, elle en a fait un défi personnel.
« »C’est un défi de pouvoir changer le visage du paysage culturel du Nord. La richesse culturelle est incroyable. Il y a des belles voix, de beaux instruments de musique comme le kalangou, la flûte des Monts Mandara, etc. Il faut qu’on arrête de se moquer des artistes de cette région » dit Tao qui organise également le festival international des musiques sahéliennes prévu cette année du 23 au 29 avril à Garoua.
Voix contre auto-tune
A Soa, loin des bruits, les résidents ont des journées studieuses. Elles sont meublées par des séances de création musicale, des cours de chants et exercices de vocalise et des master class. Des professionnels de la chanson et de la musique camerounaise encore en activités viennent chaque jour partager avec eux, leur expérience dans la gestion du tract, la performance scénique, le management et le contrat artistique, la communication digitale, etc. Le rappeur Krotal, Taphis, manager des chanteurs Tenor et Cysoul, le journaliste Idrissou Arabo, etc., ont fait partie des formateurs. Le 10 février, ils ont effectué une descente à « Akanga art », l’espace de la chanteuse Valdez Mbang où ils ont eu une séance de formations avec le batteur de renommée Christian Boudron. Par la suite, le cap a été mis au studio Bliss à la Cité-Verte à Yaoundé une belle expérience qui impacte déjà la vision des jeunes résidents.
Angele, Bakame Djouba, a gagné en maturité et en confiance en soi. « Je n’ai plus peur d’afficher mes ambitions ». C’est également le cas pour Ornella Moukam. « J’ai appris à me connaître et donc à savoir quel style musical me sied le mieux », se réjouit Ornella Moukam. Alors qu’il se présentait comme artiste d’Afrobeat, Ibrahim Saïdou Halilou voit son horizon s’élargir encore plus. Il découvre le pouvoir du live et compte abandonner l’auto-tune.
« Vous savez chez nous au Grand Nord, nous avons des grandes stars, de grands musiciens mais, il manque la logistique. Il n’y a pas de studio d’enregistrement, il n’y a pas des écoles de formation dont je suis là pour apprendre. Quand je suis arrivé ici, je n’avais jamais chanté en live, ni joué au piano. J’ai compris aujourd’hui qu’il faut valoriser sa voix », révèle le jeune artiste.
Auteur de deux singles, il souligne un autre impact. » Je fais dans l’Afrobeat donc toutes mes chansons sont de styles afro mais quand je suis arrive à cette résidence, on m’a parlé des instruments du Grand Nord comme le Kalangou, le cythare, donc il faut mettre ça pour valoriser aussi la culture du Grand Nord », reconnaît Ibrahim Saïdou Halilou.
A l’issue de la résidence » Sahel Live » ce 13 février, Tao et ses jeunes protégés vont enregistrer un single. Le coût de production sera assuré par « Sahré Amine ». Un peu plus de 10 millions ont été nécessaires pour l’organisation de cette résidence de création. Le financement, dit-elle, vient de plusieurs partenaires et mécènes. « Durant tout mon parcours, j’ai eu des gens qui ont mis de l’argent pour moi et qui ont cru à mon projet », explique Tao. La chanteuse a également le soutien de partenaires comme l’Alliance Français.
