Opération craie morte

« L’insurrection » scolaire

Des élèves sont descendus dans la rue. Le gouvernement débloque 2,7 milliards pour les frais d'examen des enseignants. Le cumul des revendications des enseignants est de plus de 180 milliards Fcfa.
IMG-20220307-WA0106
IMG-20220307-WA0055
IMG-20220307-WA0079
IMG-20220307-WA0084
IMG-20220307-WA0108

Les élèves descendent dans la rue

Lycée bilingue de Mambanda. Ils ont initié une marche lundi 07 mars 2022 pour réclamer le paiement des salaires de leurs enseignants en grève depuis deux semaines.

Tout est calme au sein du lycée bilingue de Mambanda au petit matin du lundi 07 mars 2022. Les élèves en salle de classe depuis 7h attendent avec impatience les premières épreuves de la quatrième séquence. Aucune épreuve à l’horizon jusqu’à 8h30. Pour cause, les enseignants bien présents dans le campus obéissent au mot d’ordre de grève lancé par le collectif OTS (On a trop supporté). Autour de 9h30, un mouvement spontané des élèves prend corps dans la grande cour. Les apprenants défilent d’un bout à l’autre. Ils brandissent ensuite des pancartes, bousculent le portail et se retrouvent dans la rue. C’est le début d’une marche en direction de la sous-préfecture de Douala 4ème. Les manifestants avancent en scandant leur revendication en soutien à leurs enseignants en grève depuis deux semaines déjà. « Payez ! Trop c’est trop !», crient-t-ils à tue-tête.

Sur les écriteaux brandis, on peut y lire en français et en anglais l’essentiel de leur message. « Payez nos enseignants. Vous mettez nos examens en danger. Nous avons payé pour notre éducation » ; « On a droit à l’éducation. Où va l’émergence 2035 ? Allons-nous composer ? Nos enseignants sont en danger !!! #OTS».

La marée humaine constituée de quelques 200 élèves vêtus de leur tenue de classe se déploie à travers le quartier Mambanda. Les élèves se faufilent au marché, passent devant le cimetière de Bonabéri et marquent un arrêt devant la sous-préfecture de Douala 4ème, à Bonassama. Ici, un grand vacarme oblige la sortie du « chef de terre ». L’autorité administrative appelle au calme et promet aux manifestants de se rendre au lycée mercredi prochain pour une réunion de crise avec les enseignants, en vue de l’organisation des évaluations.

Lycée bilingue de Bonassama dans la danse

Toujours mécontents, les élèves se dirigent ensuite vers le lycée bilingue de Bonassama situé à quelques encablures de la sous-préfecture. Ils forcent l’entrée au portail et invitent ainsi certains de leurs camarades à rejoindre le mouvement. Les manifestants maintenant encadrés par la police font chemin vers le lycée bilingue de Bonabéri à quelques 2 kilomètres, sur l’ancienne route de Bonabéri. Ici, les forces du maintien de l’ordre se servent de fouets pour dissuader les manifestants à réaliser le même exploit qu’au lycée bilingue de Bonassama quelques minutes plus tôt. Les élèves sont dispersés. Si certains rejoignent directement leur domicile, d’autres retournent au sein de l’établissement scolaire, point de départ de la marche. « Nous sommes très affectés par cette grève des enseignants. Ça fait deux semaines que nous n’avons pas cours. Les enseignants viennent en classe et nous donnent juste des conseils de continuer à travailler. On devait entamer les épreuves de la quatrième séquence aujourd’hui (lundi, ndlr) pour les achever vendredi. Ça n’a pas eu lieu», déplore un élève de Tle D1 qui a pris part à la marche.

Les vidéos de la manifestation devenues très vite virales sur la toile, le commandant de la brigade territoriale de Mambanda et deux commissaires de police se rendent au lycée bilingue de Mambanda à 12h30. Dans son entretien avec les enseignants, le commandant demande « de ne pas utiliser les élèves comme bouclier. Ne les manipulez pas. Faites vos revendications sans heurts, sans trouble à l’ordre public. Pour le moment je la prends comme une manifestation pacifique, même si elle n’est pas autorisée », fait savoir l’homme en tenue qui indique que sa descente n’a pas pour but d’intimider les enseignants. Aux enseignants de retorquer qu’ils n’ont en rien diligenté le mouvement des élèves.

« Aucune manipulation »

« Aucun enseignant n’a manifesté. Notre mouvement reste dans le campus. Depuis deux semaines, les enseignants épuisent toutes leurs heures sur place et rentrent chez eux. Il n’y a aucune quelconque manipulation du corps enseignant. C’est la petite bête qu’on voulait nous prêter pour nous museler», précise Roméo Akouem, le président de l’Amicale du personnel du lycée bilingue de Mambanda. Il réitère les mêmes propos lors de la visite de madame le délégué départemental des Enseignements secondaires du Wouri descendue au lycée bilingue de Mambanda à 13h34, après une escale au lycée bilingue de Bonassama et au lycée bilingue de Bonabéri.

Mathias Mouendé Ngamo

 

 

L’émouvant message au gouverneur

Ebolowa. Des élèves sont allés à la rencontre de l’autorité administrative hier, pour implorer la prise en compte des revendications de leurs enseignants.

Scène de ras-le-bol hier dans les rues de la ville d’Ebolowa, région du Sud. Des élèves  du lycée rural, un des plus grands établissements scolaires publics de la ville, selon divers témoignages, y ont manifesté leur angoisse à travers une marche dans les rues, qui les a conduit devant les services du gouverneur de la région.

Comme s’ils se sont passé  le mot avec leur camarades de plusieurs autres localités, ils scandaient : « on veut composer », « on veut faire cours »…

Inscrit en classe de terminale D du lycée rural d’Ebolowa, un porte parole des élèves a exposé au gouverneur, avec clarté et éloquence, les revendications de ses camarades inquiets pour leur avenir : « Aujourd’hui, mes camarades et moi avons pris la décision de faire une marche dans l’optique de venir auprès de vous, vous implorer d’arranger la situation de nos enseignants.

Nous avons constaté qu’il y’a plus de deux semaines que nous ne recevons pas de cours.  Cela est anormal étant donné que nos camarades des établissements privés sont en train de se faire doper par les enseignements.

Et c’est avec eux que nous allons rivaliser dans les concours, les examens, nous n’avons aucune chance avec notre niveau. »  Profitant d’une oreille visiblement attentive, il a poursuivi : « Nous les élèves des établissements publics représentons la majorité de la jeunesse camerounaise, et il est inadmissible que nous ne recevons pas des connaissances parce que les enseignants font grève, au motif que le gouvernement ne leur a pas donné ce qui leur est dû. Je viens parler ici au nom de tous les élèves, pour vous supplier, Monsieur le Gouverneur, d’arranger cette situation, car nous sommes la relève de demain. Si nous n’avons pas reçu une éducation, comment allons nous vous remplacer Monsieur le Gouverneur ? », réussi-t-il à articuler, sous la clameur des ovations de ses camarades approbateurs.

Depuis hier lundi 7 mars, les enseignants des établissements scolaires du Cameroun entament leur troisième semaine de grève.

Dans plusieurs lycées, ceux-ci observent un mouvement de protestation en ne dispensant pas les cours aux élèves. Leurs revendications sont désormais bien connues,  ils demandent le paiement de leurs droits : intégrations, avancements, indemnité de non-logements, etc. Certains cumulent en effet trois décennies sans le paiement de leurs droits. Ces enseignants sont réunis sous la bannière du collectif « On a trop supporté », OTS.

Les négociations avec les autorités et les propositions du gouvernement pour répondre aux revendications n’y font rien, les enseignants attendent des mesures concrètes, chiffrées et maintiennent la pression appelant à une nouvelle semaine « Craie morte » dans les établissements scolaires.

Claude Tadjon

 

 

Le lycée général Leclerc aussi

Yaoundé. Certains enseignants de cet établissement ont exprimé leur mécontentement dans l’après-midi du lundi 07 mars 2022.

Les enseignants du lycée général Leclerc de Yaoundé ont observé un mouvement d’humeur lundi 07 mars 2022. Ils ont entamé la manifestation autour de 15h.

Ces « seigneurs de la craie» ont couché en gros caractères à l’aide d’un marqueur bleu, l’essentiel de leurs revendications sur des papiers formats.

On pouvait lire sur certains les messages suivants : « Non à la clochardisation des enseignants » ; « Nous revendiquons juste ce qui nous revient de droit » ; « Paiement de nos arriérés de salaire » ; « Nous ne sommes pas des hors la loi ». Le mouvement d’humeur qui a duré près de 30 minutes a rassemblé une dizaine d’enseignants. Le lycée général Leclerc de Yaoundé rejoint ainsi pour la première fois le mouvement de grève lancé par le collectif « On a trop souffert » (OTS) depuis deux semaines sur l’étendue du territoire national. Depuis le début de l’opération « craie morte » , c’est la première manifestation enregistrée dans cet établissement scolaire de renom.

Tous les enseignants n’ont visiblement pas encore rejoint le mouvement. Quelques-uns rencontrés sur les bancs-publics dans la cour du lycée lundi après-midi ont soutenu ne pas être concernés par cette grève. « Les acteurs ont déjà  quitté les lieux. Le mouvement a duré quelques minutes. Les causes de ces manifestations sont celles que vous connaissez depuis quelques jours et dont la principale est le non-paiement des rappels», a lancé l’un des enseignants. Au niveau de l’administration du lycée, on se refuse tout commentaire. « Nous ne sommes pas habiletés à vous répondre », a lancé un responsable, le ton méfiant.

Selon une autre source, le mouvement d’humeur a été mené par les enseignants vacataires pendant une  trentaine de minutes. Ceux-ci réclamaient leur intégration et le paiement de leur rappel.

Selon cette source, ces enseignants ont promis de continuer les manifestations jusqu’á ce que leurs problèmes soient résolus.

Après la manifestation de lundi après-midi, la situation est revenue à la normale au lycée. Des enseignements se sont poursuivis dans le calme.

Marie Laure Mbena

 

 

L’école des écoliers

Insurrection. Contrairement à la léthargie habituelle, des élèves ont décidé de sortir de leur apolitisme pour supporter leurs encadreurs, en grève depuis deux semaines.

Hier, 7 mars 2022, à Douala, Sangmelima, Mbalmayo, Ebolowa, et même Yaoundé, des élèves, fatigués de ne pas faire cours depuis deux semaines, ont décidé de descendre dans la rue. Déjà, lors des premiers jours de la grève lancée par le mouvement Ots (On a trop supporté), l’on avait vu quelques-uns faire des pancartes affectives avec des moyens de bord (feuilles de papier A3 et marker), dans des établissements scolaires présentés jusque-là comme des citadelles imprenables, à l’endroit de leurs enseignants. « Payez nos enseignants. Nous ne voulons pas perdre l’année scolaire. Ne jouez pas avec notre avenir », présentaient alors certains d’entre eux, très sérieux. Jusque-là, ils étaient restés claustrés dans leurs campus. Contrairement aux années de braise, les risques de manipulation ont été, cette fois, très réduits malgré la contestation de la représentativité lors des négociations avec le Secrétaire général des services du Premier Ministre.

Les revendicateurs, qui expriment leur ras-le-bol depuis quelques jours, sont de toutes les tribus, de tous les âges et intègrent même certains, qui tiennent des positions de pouvoir dans la machine de l’Etat.

Pour leurs encadreurs, certains ont décidé de descendre dans la rue hier, parce que les 180 milliards nécessaires pour les payer ne représentent rien, devant les sommes faramineuses qui ont été dépensées récemment pour organiser la Coupe d’Afrique des Nations, ainsi que certaines dépenses somptuaires de l’Etat.

Pendant la compétition continentale, les élèves et leurs maîtres ont notamment apprécié la consommation de vins luxueux, comme le Petrus. Ils viennent également de voir que seule la méchanceté peut empêcher de payer leurs enseignants car il y a des moyens pour offrir des cylindrées aux privilégiés de la préfectorale.

Du coup, nos élèves, qu’on a coutume de présenter comme déconnectés de la politique, contrairement à leurs homologues d’Afrique de l’Ouest, se retrouvent en plein combat légitime. « L’école aux écoliers », avait clamé le candidat vainqueur de l’élection présidentielle de 1992, qui dénonçait la manipulation par ses adversaires d’alors des jeunes scolaires à des fins politiques. Depuis lors, une véritable dépolitisation de la jeunesse a pris corps et l’on ne s’offusque plus qu’ils ne disent rien si l’année scolaire est interrompue en mars et relancée en octobre sans leur avis, pour cause de pandémie. Ou encore s’ils sont plus utilisés pour porter des pancartes lors des meetings politiques ou des obsèques.

S.M.

Claude Tadjon

Author: Claude Tadjon

Commenter

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs requis sont indiqués *


A Propos

Le jour est un quotidien d’informations générales fondé en 2007.
« Faire voir, faire savoir, faire parler, faire comprendre » est le leitmotiv de ce journal qui insiste sur une information vérifiée, sourcée et documentée. Une large place est donnée à l’information économique et sportive. Un soin particulier est accordé aux portraits et le but final est d’apporter sa « patte » à l’écriture de « l’odyssée camerounaise ».

NOUS CONTACTER

NOUS APPELER



Newsletter

Inscrivez-vous à notre newsletter et recevez des infos exclusives.



    Catégories


    Claude Tadjon
    Author: Claude Tadjon