Cinéma. « Plaidoirie » contre la torture et l’impunité

Le film éponyme, réalisé par Vincent Fouodji avec le soutien de l'Ong Jade Cameroun, dénonce les traitements dégradants et inhumains infligés dans les milieux de détention, ainsi que la corruption qui gangrène le système judiciaire au Cameroun.
Cinema

Tous les moyens sont bons pour promouvoir les droits de l’homme. Pourvu qu’ils soient efficaces. « Plaidoirie », le tout nouveau film du producteur-réalisateur Vincent Fouodji s’assigne cet objectif. En 62 minutes, il montre les plaies profondes d’une société camerounaise déchirée par des vices, rongée par les abus de tous genres, les piétinements et les violations criardes des droits de l’homme. Il révèle aussi les lacunes et les carences d’un système administratif qui a laissé à son sort sa jeunesse. Dans ce pays tout désigné – le Cameroun –, où « la terre appartient aux premiers occupants », selon un malfaiteur gardé à vue, c’est le règne de la jungle, du « chacun pour soi, Dieu pour tous ».

La morale publique a foutu le camp depuis des temps immémoriaux. Il faut remuer les méninges et mettre à contribution tous les moyens pour sa survie quotidienne. John Bob, un redoutable malfrat, l’a bien assimilé. Sauf que les choses tournent mal pour ce malfaiteur ce fatidique jour où il est pris en flagrant délit de vol d’une moto, au quartier Bonadem. Furieuse, la population se jette sur le voleur et tente de le lyncher. Nganda, le propriétaire de la moto, s’oppose à la folie meurtrière de la foule déchaînée, non point par empathie pour le voleur, mais parce que cet intellectuel (il est journaliste)  connaît les frontières de ses droits. Une attitude bien curieuse et plutôt rare dans ce pays sous les tropiques, où la justice populaire fait florès, a ravi la vedette à la justice étatique.

Le droit pour tous

Sauvé de justesse par les hommes du commissaire Ndonkaloué, le voleur est conduit au commissariat, où il est placé en garde à vue. Grâce à l’entregent de « Chef bandit », une femme bénéficiaire des fruits de vols et braquages, et qui ne lésine sur aucun moyen pour atteindre ses fins (y compris la séduction et l’enveloppe), John Bob est libéré le même jour. Il retourne au quartier pour narguer cette même population qui a failli lui arracher la vie. La population descend dans la rue pour manifester son courroux. Le commissaire Ndonkaloué cible Nganda, le propriétaire de la moto volée, et fait interpeler ce journaliste qui subira des traitements dégradants et inhumains. Le journaliste dépose une plainte contre ses bourreaux, parmi lesquels le commissaire de police.

Au tribunal, Maître Kengne, le conseil du plaignant, cite le code pénal camerounais, la Charte africaine des droits de l’homme, et de nombreux autres traités internationaux signés et ratifiés par le Cameroun, pour justifier le caractère pénal des infractions subies par son client. Le commissaire est finalement condamné à 15 ans de prison ferme pour corruption, tortures et refus d’un service dû. Ce en dépit de l’enveloppe de 200 000 francs CFA que son contradicteur, maître Zoko, a remise, la veille, à la juge, non sans promettre au magistrat son whisky une fois que la décision aura été rendue en faveur du corrupteur. Une illustration que le droit existe pour tous, selon le coordonnateur de Jade Cameroun, Etienne Tasse : « Comme ce film l’a montré, le premier combat c’est la lutte contre l’impunité. On a essayé de montrer que même les hommes en tenue, la police, la gendarmerie, même le commissaire, peuvent être trainés devant les tribunaux, perdre le procès et être punis pour les abus des droits humains. C’était une stratégie pour montrer que n’importe quel citoyen peut poursuivre une autorité publique qui abuse de ses droits. C’est notre principal message à la population. »

Zéro censure

Tourné à Douala, le film de Vincent Fouodji révèle les frustrations d’une population qui ne croit plus qu’à la vindicte populaire (sa propre justice) comme mode de règlement de conflits : « Quand on disait ‘‘Action !’’, les gens entraient à fond dans le lynchage du présumé bandit, et quand nous disions ‘‘Coupez !’’, les gens oubliaient carrément qu’il s’agissait du cinéma. Et ça devenait incontrôlable. Ça nous a tellement touchés et j’ai compris que le petit citoyen camerounais, où qu’il soit, où qu’il vive, vit avec des frustrations. » Le film Plaidoirie a été diffusé en salle le 03 mars 2022 au quartier Ndogbong à Douala. Il a été produit grâce au soutien financier de « Journalistes en Afrique pour le développement » (Jade Cameroun), une organisation non gouvernementale regroupant des journalistes et œuvrant depuis plus de dix ans à la promotion des droits de l’homme. Le film a, étonnamment, reçu un écho favorable auprès des autorités, qui ne l’ont pas censuré. Un signe encourageant pour le jeune réalisateur, qui songe déjà à un second film sur la même thématique. Le film sera diffusé dans les prochains jours par des chaines de télévision partenaires de Jade Cameroun.

Théodore Tchopa

 

 

Cecile Ambatinda


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