Samedi, 30 juillet 2022, marché de Mbouda. Les pluies de saison ont laissé place à un léger soleil qui rend les échanges fluides. Ça circule sans bouchon. Peu après 14h, le rayon des céréales, situé à l’une des entrées, vit comme une torpeur. Depuis le matin, seuls deux camions sont venus ramasser quelques sacs de maïs, pour compléter leur chargement avant d’aller à Douala. Les chargeurs semblent s’ennuyer. Rien à voir avec le charivari souvent observé en ces lieux, à la même période. Dans les agences de voyage, c’est le même calme. Il n’y a point ces amoncellements de sacs de nourriture, qu’on trouve régulièrement en ces lieux, en dehors des traditionnels sacs d’avocat. La nourriture est-elle finie à Mbouda ? « Le maïs sort [arrive au marché en quantités] », nous rassure Arthur Etienne Tchinda, un négociant. Ce samedi, peu de cultivateurs sont venus vendre leur production. « Ce n’est pas un problème de production. Le problème à l’heure actuelle, c’est que les prix sont bas », tente-t-il d’expliquer.
En effet, le filet de maïs (ancien stock) d’environ 170kg coûte 34.000F depuis une semaine, au lieu de 42.000F à la même période l’année dernière. De quoi ne pas attirer les vendeurs. Le nouveau maïs pointe déjà son nez.
Minorant l’impact des intrants, les acheteurs expliquent que sa culture a connu cette année un retard, du fait des pluies, qui ne sont pas arrivées à temps. Conséquence visible, les récoltes sont pleines de « choléra », c’est-à-dire les graines de qualité médiocre et aux bouts teintés, impropres à la consommation humaine. Ils expliquent encore que le marché de la consommation, notamment celui de Bafoussam, est actuellement envahi par le maïs venu des régions du Nord et du Centre, ce qui justifie la baisse des prix. La veille, l’ambiance était à peu près la même au lieudit route Foumbot, dans la ville de Bafoussam, un centre d’achat des produits des champs par les revendeurs. Des engrais toujours chers Pour l’instant, il y a le maïs. On appréciera les quantités plus tard.
En parcourant les routes qui relient Bafoussam aux chefs-lieux des départements de l’Ouest, il est loisible d’observer que des stocks de récoltes sont déversés au bord des routes, attendant les moyens d’évacuation.
Cependant on peut empiriquement voir que les épis ne sont pas assez costauds et que certains champs ne sont pas arrivés à maturité de manière uniforme. « Nous avons fait ce que nous pouvions pour ne pas abandonner les champs. Tout est devenu cher », rappelle Ruth Menea, cultivatrice à Bagam, dans l’arrondissement de Galim. « Cette année, nous n’allons pas nous en sortir, s’inquiète Charlotte Mpeudiè, cultivatrice à Baleng, dans la périphérie de Bafoussam. J’ai bien l’impression que ma récolte ne va pas couvrir les dépenses que j’ai effectuées au champ ».
Rose Tela dit avoir, sur conseil d’un vulgarisateur agricole, utilisé des engrais organiques qu’elle ne maîtrise pas. En préparation du second cycle agricole annuel, les engrais hier rares, sont disponibles mais toujours hors de prix.
Dans les marchés, les boutiques des produits phytosanitaires restent ouvertes, comme au bon vieux temps. Mais les affaires ne prospèrent pas. L’on se souvient qu’en l’espace de huit mois, le prix des engrais et des pesticides a été multiplié par trois voire plus, mettant les producteurs agricoles dans une situation de précarité et de découragement. Ainsi sur le marché de Bafoussam, le sac de sulfate qui coûtait 11.000F en janvier coûte désormais 30.500F. Le sac d’urée est passé quant à lui, de 15.000F à 40.000F ! Un peu plus, au fur et à mesure qu’on s’éloigne du chef-lieu de la région. Les opérateurs du secteur filent le mauvais coton. Au regard des charges, certains risquent de fermer boutique, si la situation ne s’inverse pas. D’au moins 20 clients autrefois par jour dans un magasin de référence, ils sont aujourd’hui 4 ou 5 à passer. Et encore, « ils ont sérieusement réduit les quantités qu’ils prennent. Celui qui achetait 10 sacs se contente maintenant de 2. Il accuse les moyens », explique Régine, préposée à la vente. Guerre du gaz « Cette envolée des cours s’explique par différents facteurs dont la hausse généralisée des prix du gaz naturel européen ayant pénalisé la production d’ammoniac nécessaire à la fabrication des engrais azotés et la flambée des cours du charbon en Chine qui a forcé certaines usines à réduire leur production. A ces éléments s’ajoute la hausse des coûts des matières premières comme la roche de phosphate dont la tonne a grimpé au dernier trimestre à 136,5 $, soit 52 % de plus qu’au premier trimestre », résume l’Agence Ecofin.
Les évaluations subséquentes du ministère de l’Agriculture et du Développement rural (Minader) ont abouti à la promesse gouvernementale de subventionner le prix des intrants, à hauteur de 30% (voir encadré), sans vraiment contenter les agriculteurs.
Conséquence des courses, certaines parcelles ont été laissées de côté. Celles qui ont été cultivées n’ont pas fertilisées, en tout cas pas comme il faut. Dans de nombreux cas, la production suffit seulement pour nourrir les familles des paysans et le peu qui arrive sur le marché est vendu à prix d’or. Les ménagères se plaignent en effet de la montée des prix sur le marché, en dehors de quelques produits de saison. A Mbouda ce week-end, le seau de pomme de terre de 15l était négocié à 3.500F, un peu moins cher qu’il y a un mois. En l’absence des statistiques sur les quantités produites, on ne peut manquer de se poser cette question : pour combien de temps ?
Franklin Kamtche
La subvention qui ne fait pas courir
Gouvernance. Malgré la prise en charge promise de 30% du coût, le sac d’engrais demeure hors de portée du cultivateur moyen.
La tendance à l’abandon ou l’inutilisation des engrais chimiques pourrait changer dans les prochains jours, si l’information passe. A bonne source, le gouvernement s’est engagé à supporter 30% du coût global d’un stock d’engrais qu’il s’apprête à mettre à la disposition des producteurs.
Une note d’information du ministre de l’Agriculture et du Développement rural explicite, à l’attention de ses délégués territoriaux et des vulgarisateurs agricoles, les modalités de gestion de cette facilité, qui vise à ramener les paysans au champ.
L’on se souvient qu’interrogé sur la flambée des prix des intrants le 1er juillet 2022, Gabriel Mbairobe avait rassuré les parlementaires sur l’attention que le gouvernement portait à cette situation dommageable pour les agriculteurs. « Le gouvernement avec l’aide de la Banque Africaine de Développement a mis en place un plan d’urgence sur trois ans, pour supporter l’agriculture, non seulement en supportant à hauteur de 30% le prix des engrais, mais en rendant disponible des semences de bonne qualité » avait-il déclaré. Mieux vaut tard que jamais, pourrait-on dire.
Début mai 2022, une cargaison de 17.936 tonnes d’engrais a été débarquée au Port autonome de Kribi, en provenance de la Russie, ce pays en guerre contre l’Ukraine qui cumule 43% des importations de fertilisants du Cameroun en 2020. Propriété marchande de la société importatrice Agp, basée à Douala, ce sont ces engrais arrivés dans un contexte de pénurie relative et d’inflation qui ont permis un temps de combler une portion de la demande.
Il en faut davantage. Sauf que sur le terrain, le projet de subvention du prix des engrais qui est né du constat selon lequel les agriculteurs ont des difficultés à mettre en œuvre leurs politiques de culture, ne fait pas courir. Interrogé sur l’engouement des agriculteurs à s’approvisionner suite à la communication de cette subvention, dans la localité de Bazou, une zone où prospère le maraîchage, le Délégué d’arrondissement de l’Agriculture et du Développement rural s’est montré prudent, évitant de donner des chiffres sur les commandes. Même ailleurs, l’enthousiasme n’est vraiment pas au rendez-vous car les paysans jugent toujours élevé le coût de cet intrant pourtant nécessaire pour assurer une bonne production.
Avec la mesure gouvernementale, un sac d’engrais de 50 kilogrammes qui coûte actuellement 40.000F (au lieu de 19.500F en novembre 2021) va revenir à 28.000F, puisque l’Etat aura supporté 12.000F.
« La mesure gouvernementale est un pas mais il est insuffisant. Pour résoudre véritablement le problème et obtenir une adhésion des cultivateurs, il faut que la subvention couvre la totalité du surcoût créé par l’inflation », analyse un agroéconomiste.
F. K.
Bio : recourir aux engrais biologiques
Alternative. Les solutions appréciées ailleurs pour leurs performances écologiques se heurtent chez nous à des difficultés logistiques.
« L’engrais c’est comme la nourriture qu’on donne à un être humain. Il n’y a pas d’agriculture moderne sans engrais », affirme Philippe Mouandjo, ingénieur agronome et coordonnateur du projet Acefa pour le département de la Lékié. Selon cet expert, qui a fait des analyses comparées sur la fertilisation des sols, de l’époque où il fut étudiant à l’Ecole d’agronomie de Dschang, ce sont les engrais qui assurent une bonne productivité des champs. « La production peut passer de 90% à 10% sur les sols ferralitiques, si on cultive en comptant sur la bonté de la nature, ce que nous appelons la chance de Dieu. L’engrais est incontournable », explique-t-il. En effet, pour pousser, les plantes ont besoin de prélever dans le sol des éléments minéraux indispensables à leur bonne croissance. Comme les besoins sont rarement couverts par la fourniture naturelle du sol, il est nécessaire de compléter leur alimentation avec des engrais organiques (issus de l’élevage) ou de synthèse. « Si les doses sont respectées, il n’y a pas de raison qu’ils ne puissent pas produire », assure Philippe Mouandjo.
Lorsque l’engrais chimique vient à manquer, l’on peut utiliser des engrais organiques : fiente de poule, bouse de bœuf, déjection de porc ont montré leur efficacité dans la production de l’humus indispensable pour assurer la croissance des plantes. Sauf que leur prix a aussi grimpé, au motif de la « crise ukrainienne ».
La solution à court terme est un projet : la société Financial & Investment Corporation SA envisage de construire dans la ville de Kribi, dans la région du Sud, une usine de production d’un engrais 100% biologique à base d’eau de mer. Dénommé SF94, le projet envisage d’accroître de 20% le rendement sur les terres arables et réduire d’environ 70% les traitements phytosanitaires. Financée à hauteur de 7,2 milliards, l’usine une fois opérationnelle, approvisionnera le marché de la sous-région Afrique centrale en portant sa production de 4 000 000 litres par an à 8 000 000 litres/an après quatre ans. Dans les pays du Nord où les objectifs de réduction des émissions de gaz sont rigoureux, on recourt à des biostimulants. « De par leur composition, les biostimulants constituent une voie d’avenir pour accélérer le développement durable de l’agriculture, explique l’Union de l’industrie de la fertilisation (Unifa). Leur potentiel est grand car l’ensemble des cultures est concerné, sans limite particulière à leur utilisation ». Selon les substances employées, explique la Commission européenne, ces biostimulants agissent sur la plante, dans le sol ou sur la matière fertilisante. L’emploi de biostimulants renforce la qualité ou le rendement des céréales mais aussi la gestion des stress climatiques des plantations de fruits et de légumes. Une technologie actuellement hors de notre portée.
F. K.
Comment avez-vous contourné la cherté des engrais pendant la saison agricole en cours ?
« Je me suis abstenue »
Eléonore Ngnintedem, agricultrice
Il faut reconnaitre que cette saison agricole a été particulière avec la hausse des prix des fertilisants. Avec la hausse des prix des engrais chimiques, je me suis trouvée en train de cultiver sans fertilisants. J’ai l’habitude de prendre deux sacs de fertilisants pour le maïs et un autre pour les pommes de terre. Mais cette année, avec le prix qui a pratiquement doublé sur le marché, je me suis abstenue. Et le résultat est toute autre chose. J’ai d’ailleurs eu une réduction considérable pour ce qui est du haricot dont la saison est près qu’achevée. À l’allure où vont les choses pour ce qui est du maïs, le résultat sera catastrophique à ma récolte. Je suis incapable d’avoir un pick-up de maïs contrairement à six roues la saison dernière. Si les cultivateurs ne peuvent pas s’acquérir les fertilisants à moindre coût, on se demande comment allons-nous faire pour joindre les deux bouts au moment où l’Etat encourage l’agriculture. Au marché, l’huile, le riz, le savon, bref, tout coûte les yeux de la tête.
« J’ai fait recours aux fientes »
Judicaël Takuété, jardinier
J’ai eu une mauvaise saison de pastèques. Je vis de la culture des pastèques depuis des années. Pour vous dire de manière concrète. J’ai bien suivi mes plants jusqu’au moment où il fallait apporter des éléments nutritifs supplémentaires. C’est là que je constate que les engrais étaient devenus chers sur le marché. C’est ainsi que j’ai eu la mauvaise idée d’attendre la baisse des prix. Malheureusement, ces prix ne faisaient que grimper après quelques jours d’attente. Le temps de trouver les moyens financiers appropriés, la période adéquate pour le traitement des plants est passée. Je me suis finalement trouvé avec des petites pastèques à livrer au bas prix pour ne pas tout perdre. Je vais aussi préciser que j’ai fait recours aux fientes après les conseils d’un ami pour la première fois. Malheureusement, le rendement n’a pas été. L’équation difficile actuellement à résoudre est de recouvrer les dépenses. C’est ainsi que je me suis lancé dans une saison de maïs actuellement en espérant la baisse des prix d’engrais sur le marché dans les prochains mois.
« Je me suis contentée d’un seul sac »
Véronique Malongang, agricultrice
Nous sommes dans les situations inexplicables. Les champs étaient jusqu’ici notre seul refuge. C’est à l’aide des produits champêtres que nous nous occupons de nous et de notre famille. C’est toujours avec ça que nous envoyons nos enfants à l’école. Nous n’avons pas de grands espaces à cultiver. Ce sont les engrais qui nous permettent d’accroitre nos rendements agricoles mais cette année, il a été difficile d’acheter les engrais. Je me suis contentée d’un seul sac au prix de trois comme l’année dernière. Ce sac ne m’a pas permis de bien entretenir mes champs. Je vous assure que quand vous regardez ces champs, vous ne pouvez pas imaginer qu’il a reçu l’engrais. C’est aussi vrai que la dose normale n’a pas été respectée. Pourtant, j’avais déjà préparé l’argent des trois sacs comme d’habitude. Il faut que l’Etat trouve une solution adéquate à ce problème. Si les choses continuent ainsi, nous, le bas peuple risquons de ne plus envoyer les enfants à l’école. Propos recueillis par A. K.