Par Monda Bakoa : Les gains deviennent attractifs. Dans une activité qui, à bien des moments, ressemblait à une corvée d’esclave.
Comme des eaux en furie, après la rupture d’une digue, les cours des fèves de cacao, longtemps contenus, grimpent battant tous les records. A Batouri, dans l’Est du Cameroun, un stock de cacao a été adjugé, le 17 mars dernier, à 5100 F le kg, lors d’une vente groupée. C’est historique ! De mémoire de producteur, on n’avait jamais vu ça, ni caressé pareil rêve, depuis l’expansion de cette culture au Cameroun autour des années 1920. Selon les tendances fournies par l’Oncc, l’Office national Cacao Café, les prix des fèves livrées au port de Douala en ce début d’avril, oscillent entre un minimum de 4100 et un maximum de 5200 F/kg.
Dans les bassins de production, le kilogramme de cacao se négocie actuellement autour de 4000 F/kg. C’est dire qu’on soupire d’aise, en zone cacaoyère, en cette période de soudure inter-campagne. D’autant que la tendance demeure à la hausse, présageant des lendemains meilleurs. Les producteurs reviennent de loin. L’on est passé d’un prix moyen de 750 F en 2017 à 1300 F/kg en décembre 2022 avant d’arriver aux records actuels. Beaucoup exultent. D’autres plus dubitatifs, embouchent, la sagesse paysanne aidant, une rengaine un peu différente : « pourvu que ça dure ». « Pourvu que ça dure ! » Parce qu’au Cameroun, le cacao n’a jamais réellement bénéficié aux producteurs. Ils n’avaient jusqu’alors été rémunérés au prix de leurs efforts. De la période coloniale à l’an dernier, les planteurs sont passés, pour ainsi dire, d’un système d’esclavage primaire à une forme de servage plus moderne. Dans les années 30, en effet, en plein régime de l’indigénat imposé par la France coloniale et caractérisé par le recours aux travaux forcés, la culture du cacao n’avait d’intérêt pour le planteur que l’obligation de payer l’impôt de capitation.
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Dans une étude publiée en 1992, Christian Santoir, citant les archives nationales, rappelle qu’en 1933, il fallait 53 kg de cacao à un couple pour payer l’impôt de capitation. « Faute d’avoir à produire 200 kg de palmistes, représentant sept mois de travail ». Comment ne pas parler de « famla », esclavage de zombies, s’agissant d’une activité très absorbante physiquement et financièrement. Avec une hypothèque sur la production annuelle à cause des risques de maladies et de parasites (pourriture brune et mirides essentiellement). Face aux injustices coloniales, en Gold Coast, le Ghana actuel, où leur situation était plus enviable à l’époque, les producteurs engagèrent, en 1937, une grève unilatérale. Ils en sortirent encore plus ruinés, brisés par l’intransigeance des magnats du cartel du cacao.
C’était de surcroit l’époque où le Pacte colonial interdisait toute transformation locale des matières premières. Dans les années 70 et 80, une embellie est apparue dans les conditions de vie des planteurs. La cacaoculture a, pour le moins, contribué à l’avènement de la tôle ondulée et de la cuvette émaillée dans les campagnes, selon le constat de Jean Assoumou, auteur de « L’économie du cacao », essai paru en 1977. Toutefois, même à ce nouvel âge, le travail des producteurs camerounais avait beaucoup plus contribué à enrichir d’autres acteurs de la filière. Jusqu’à la fin des années 80, les prix d’achat au producteur étaient homologués par le gouvernement. Celuici ordonnait des prélèvements censés alimenter la Caisse de stabilisation mise en place en 1955. A sa création en 1977, l’Oncpb, Office national de Commercialisation des Produits de base, a repris ce mécanisme. Les sommes prélevées, selon la lettre de ses textes, étaient pour l’essentiel destinées à relever le prix garanti au producteur, en période de vaches maigres. En dix ans, selon des sources étatiques, l’Oncpb avait collecté sur le cacao et le café 375 milliards de Fcfa, soit l’équivalent de trois quarts du budget de l’État à l’époque. Lorsqu’en 1989 les cours mondiaux s’effondrent, les producteurs réalisent avec stupeur, qu’il n’y avait pas d’argent dans les caisses pour assurer la péréquation. Dans la mouvance de l’ajustement structurel imposé par le Fmi, la filière a été libéralisée. Finie l’homologation des prix. Avec pour corollaire, l’arrêt de la distribution gratuite d’intrants et les campagnes de désinsectisation de masse. Finie l’Oncpb, dissoute en juin 1991. Et remplacée par une Oncc à laquelle a été ôtée la dimension de caisse de stabilisation. Spéculation Mais, selon Jean Assoumou, c’est bien plus la spéculation à l’international qui maintient les producteurs de cacao dans la pauvreté. Et pour cause, « c’est dans les bourses de cacao des pays consommateurs que se fixe le prix de cette denrée, en fonction non pas du coût de production comme les prix industriels, mais des prévisions de récolte et de broyages aux cours de la campagne.
C’est donc un prix essentiellement spéculatif et instable qui, sauf flambée de pénurie, fluctue sans progrès à des niveaux déprimés depuis bientôt un demi-siècle, et ne cesse par conséquent de se dégrader en termes de pouvoir d’achat des produits industriels ». Depuis lors, la situation n’avait pas beaucoup évolué. Jusqu’à ce que, l’année dernière, comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu, une sévère pénurie vienne perturber les bourses de Londres et de New-York où est coté le cacao. Un déficit de 11% est prévu pour la campagne 2023/2024, selon les estimations de l’organisation internationale du cacao (Oic). Ce gap a donné un violent coup de pied à la fourmilière des stocks spéculatifs. En cause, selon la version officielle, des perturbations climatiques en Côte-d’Ivoire et au Ghana, le premier et le second exportateur mondial.
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Avec une chute de la production estimée à 30%. Ce que l’on ne souligne pas assez, pour expliquer la montée vertigineuse des prix, c’est l’élan d’une prise en main chez les producteurs subsahariens. Avec notamment un bond dans la transformation locale En plus d’une volonté d’émancipation affichée à travers l’initiative Côte-d’Ivoire & Ghana mise en œuvre l’année dernière, afin d’obtenir des prix équitables. Un embryon d’une Opep du cacao qui gagnerait en efficacité en associant d’autres pays dont le Nigéria et le Cameroun, 3e et 4e exportateurs sur le continent. Selon l’Association Cocoa Abrabopa du Ghana, les producteurs ne perçoivent que 6% des cent milliards de dollars que génère annuellement le marché du cacao. En Côted’Ivoire, l’industrie locale transforme quelque 500 000 tonnes par an, soit près du quart de la production. Au Cameroun, trois nouvelles unités industrielles se sont installées, portant à plus de 200 000 t/an, la capacité de broyage, soit plus de 2/3 de la production nationale. Ces broyeurs locaux ont activé la concurrence. Mieux encore, le Cameroun a été inscrit en juin 2023, à Antanarivo, lors d’une réunion de l’Oic, sur la liste très sélective des pays produisant un cacao fin.
Ce cacao, dont le traitement après récolte est assuré selon des normes strictes, provient, pour l’heure, de onze Centres d’excellence construits dans le pays depuis 2017, grâce à un partenariat entre le Conseil interprofessionnel Cacao&Café (Cicc), le gouvernement et les Chocolatiers Engagés de France. Cette reconnaissance a accru la cote du cacao camerounais sur les places internationales. Pour Simon Bassanaga, expert porteur du dossier Cameroun à Antanarivo, notre pays a des atouts pour inscrire dans la durée l’embellie actuelle et mettre ainsi fin au famla, dans la cacaoculture. Il propose pour cela que le gouvernement forme des vérificateurs qualité au sein des coopératives, revalorise la prime qualité, mette en place un mécanisme de contact entre producteurs et acheteurs, poursuive la construction de nouveaux centres d’excellence dans les bassins de production…
* Président du Comité Communication de l’Association nationale des Producteurs du Cameroun (Anpcc)