Martin Touroum, l’enseignant qui a relevé les conditions de travail de ses collègues

Ce directeur de l'école publique de Djourde, dans un petit village du département du Mayo Rey, région du Nord, a usé d'ingéniosité pour aider les bénévoles qui l'assistent.
Mayo

La petite assemblée autour d’une tasse de thé, se pâme pour le directeur de l’école publique de Touroum. Martin Touroum et ses collègues enseignants se sont retrouvés au début de la semaine dernière après avoir touché leurs salaires du mois d’août. Ils ont profité de cette occasion pour échanger dans un petit troquet de Pitoa. Bien entendu, il était surtout question de la rentrée scolaire et de comment on la prépare. L’inquiétude principale des convives était de savoir comment trouver, recruter puis payer des collègues pour combler le manque d’effectif en enseignants. Pour Mamoudou, le directeur d’une petite école près de Badjouma, « c’est un casse-tête permanent. Ça fait cinq ans que ça dure. La commune envoie peu d’argent, il faut courir après chaque parent pour quémander une contribution à l’Association des parents d’élèves pour payer mes quatre maîtres de parents. Quelque formule que j’emploie, je ne peux les payer que jusqu’au mois de janvier, j’ai donc constamment cinq mois d’impayés sur les neuf de l’année scolaire.  » Mahounde, pour sa part reconnaît que pour l’école publique de Boulgou, une dame haut fonctionnaire du ministère de l’économie native du village, prend la charge des cinq mois d’arriérés de quatre enseignements. Il faut dire que dans ces établissements comme dans la plupart des écoles des régions septentrionales, le maître de parents est payé 15.000Fcfa. Du moins c’est ce qui lui est promis. Puis la voix de Martin Touroum, détonne dans ce lamento sans fin.

Le taciturne homme de 31 ans sur un ton assuré affirme qu’il n’a aucun problème à payer ses trois collègues recrutés par ses soins parmi les habitants de Djourde, un village à 60 km de Rey Bouba chef-lieu de l’arrondissement éponyme. « J’ai trois maîtres. Deux hommes et une femme, ils tiennent la Sil, le cours préparatoire et le cours élémentaire deuxième année. Je les paye 20.000Fcfa, chacun régulièrement entre le 25 et le 30 du mois, neuf mois durant ». Inutile de rappeler que la sortie du jeune directeur a climatisé l’ambiance pleurnicharde de la petite réunion. Le temps d’un flottement, et celui qui vient de prendre le contrôle de l’assistance poursuit. « Quand j’ai été affecté il y a trois ans, j’ai trouvé une situation semblable à celle que vous décrivez. L’école que je devais diriger devait recruter enseignants titulaires du Certificat d’aptitude pédagogique des instituteurs de l’enseignement maternelle et primaire (Capiemp). Mon prédécesseur avait engagé trois gars du village qu’il payait entre 15 et 17.000 Fcfa, et souvent il y avait des arriérés donc des conflits.  » Il explique que sa petite école compte 516 élèves répartis dans six salles de classe dont quatre sont bâties en briques ou matériaux durables et deux autres sont des hangars. Ses élèves sont des fils de paysans. Notamment de cultivateurs de coton. L’an dernier, Djourde, cultivait 270 hectares de coton. Le directeur d’école a alors réunis les notables du village pour trouver une solution. Au cours de l’échange, il s’est rendu compte qu’il existe au sein de la Sodecoton une sorte de caisse d’avance qui peut à la demande de planteurs regroupés dans des groupements d’intérêt commun (Gic), finance certaines activités comme la récolte. L’enseignant a donc incite les notables et parents de Djourde à demander à la Sodecoton de préfinancer les frais de l’Association des parents d’élèves. L’entreprise qui est en pleine expansion dans la région, a accédé à la demande et s’est engagé à ne pas prendre des intérêts sur le Prêt scolaire. Seulement, Martin Touroum a du faire montre d’initiative. « J’ai dressé un Projet d’école. Un document dans lequel j’ai fait un budget estimatif de toutes les dépenses de fonctionnement de l’école dont principalement du salaire des enseignants bénévoles. La totalité s’élevait à environ 1.200.000Fcfa. Je suis alors monté à Mayo Gakle, au secteur de la Sodecoton qui est à une centaine de kilomètres de mon école. J’étais accompagnée du chef du groupement des planteurs. La Sodecoton, à mus en étude notre idée. Ils ont envoyé de nombreuses missions pour vérifier et évaluer les champs de coton. Après quelques temps, ils nous ont donné 800.000Fcfa. Comme tous les enfants n’étaient pas fils de planteurs de coton. Il restait, les enfants dont les parents ne cultivent pas le coton. Ils n’étaient donc pas inscrits sur la liste des enfants de planteurs de coton dressée par les parents et présentée à la Sodecoton. Ils ont donc payé chacun 2000 Fcfa pour se mettre en harmonie avec les autres élèves. « , a expliqué le directeur de l’école publique de Djourde, à ses amis fascinés. Au début de cette nouvelle année scolaire, la précarité des enseignants est remise au goût du jour par les coups de menton et les promesses du gouvernement. Mais, parmi les plus précaires des agents publics, il est cette catégorie de personnes qui ont un statut des plus brumeux.

 

Les maîtres de parents, n’existent pas officiellement, ils ne sont par exemple pas inspectés (« pour éviter qu’ils démissionnent », révèlent nos sources). Pourtant ils abattent un travail titanesque dans une grande insignifiance. « ils font 14 leçons cinq jours par semaine. Ils doivent se présenter dans une tenue vestimentaire correcte, doivent subvenir à leurs besoins et à ceux de familles qu’ils ont commencé à construire, parfois toute la vie. Pour échapper au traquenard de la misère, ils doivent passer le concours de contractualisation des instituteurs. Les critères d’accès à ce concours sont les seuls qui en réalité bordent l’activité des maîtres de parents. Le communiqué n°171 du ministère de l’Éducation de base du 16 septembre 2021, est clair sur le critère principal d’admission très prisée contractualisation des instituteurs: les candidats doivent s’engager sur l’honneur de servir pendant cinq ans à son poste d’affection et choisir une école nécessiteuse. S’ensuit en annexe d’interminables listes d’écoles de l’arrière-pays. Pour le gouvernement, la préférence est faite au recrutement des diplômés qui acceptent des postes dans des écoles situées dans des coins désolés. Autre critère d’importance, pour ce concours ouvert en 2021, les candidats devaient avoir un diplôme acquis en 2016 ou avant. En simple, ceux sortis de l’école l’année d’avant n’étaient pas admis à la candidature. Autrement, le gouvernement incite les candidats instituteurs à prendre un emploi pendant près de cinq ans avant de postuler au statut de contractuel et figurer dans le corps des enseignants de la fonction publique.

 

Aziz Salatou

andal

Author: andal

Commenter

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs requis sont indiqués *


A Propos

Le jour est un quotidien d’informations générales fondé en 2007.
« Faire voir, faire savoir, faire parler, faire comprendre » est le leitmotiv de ce journal qui insiste sur une information vérifiée, sourcée et documentée. Une large place est donnée à l’information économique et sportive. Un soin particulier est accordé aux portraits et le but final est d’apporter sa « patte » à l’écriture de « l’odyssée camerounaise ».

NOUS CONTACTER

NOUS APPELER



Newsletter

Inscrivez-vous à notre newsletter et recevez des infos exclusives.



    Catégories


    andal
    Author: andal