Vous célébrez vos 50 ans en littérature. Ce n’est pas courant…
C’est une grâce spéciale dont je rends gloire au Seigneur ! Déjà, cinquante de vie, ce n’est pas banal, a fortiori cinquante ans de pratique d’une activité donnée à l’intérieur d’une vie ! Plus surprenant encore est le bilan de ladite activité. En rangeant ma paperasse en vue de la célébration du jubilé, j’ai découvert, étonné, qu’à côté de la vingtaine d’ouvrages que le public connait de moi, trainaient une bonne dizaine de manuscrits achevés et non publiés ! Plus loin, j’ai retrouvé près d’une trentaine de projets non achevés, bloqués à des stades divers. De même j’ai pu rassembler une vaste correspondance, environ deux cent lettres, que j’ai regroupées en cinq volumes thématiques. Idem pour de nombreux articles, conférences et préfaces. Des journaux littéraires que j’ai tenus de jour en jour dans de gros registres pendant quarante ans ! Bref, j’ai pu mettre à jour un patrimoine scriptural regroupé en onze chantiers pour un total de 86 volumes de documents.
C’est dire que le travail de l’écrivain ressemble finalement à un chantier d’orpaillage où pour cinquante grammes d’or, on remue dix tonnes de terre. C’est tout cela que j’ai l’intention de dévoiler au grand public.
On a eu les écrivains de la génération des indépendances, puis ceux de la postindépendance et, disons, la génération contemporaine. Vous vous classez où ?
Je serais plutôt de la troisième génération, juste avant l’actuelle que je considère comme la quatrième. Ma période de production suivie s’arrête dans les années 2005. Depuis lors, je fais plutôt dans la construction et l’accompagnement de jeunes talents. Je me dévoue également à la cause littéraire dans son ensemble à travers mes responsabilités associatives. Président de l’Association des Poètes et Ecrivains Camerounais (APEC), Coordonnateur national du Pôle Arts Littéraires du MINAC.
Il y a une vingtaine d’années, vous avez disserté sur La Nouvelle littérature Camerounaise. Où en est ce courant littéraire de nos jours ?
La Nouvelle Littérature Camerounaise est une théorie que j’ai proposée dans les années 2000 à la famille écrivante du Cameroun et d’Afrique. Dans cet ouvrage, je rendais hommage, dans un premier temps, aux auteurs de la période coloniale et postcoloniale qui, pour pouvoir produire des œuvres courageuses tout en se protégeant des affres de la répression, ont été amenés à construire une esthétique littéraire un peu particulière, occultant ou brouillant tous les référents identitaires, géographiques, culturels. J’ai qualifié cette littérature de la littérature du Maquis. Dans un second temps, je me désolais a contrario du suivisme aveugle des auteurs des années 1990 qui, baignant dans le contexte effervescent des démocraties et des libéralismes déclarés, continuaient de masquer inutilement leurs œuvres par les techniques de brouillage référentiel ! Je les exhortais à sortir du maquis pour évoluer à visage découvert dans les belles cités Camerounaises, à travers une littérature réconciliée avec son environnement et sa culture. Vingt ans après je suis heureux d’observer que la Nolica a profondément régénéré la littérature camerounaise et produit des auteurs de renom comme François NKEME, Angeline Solange BONONO, Djaili AMADOU AMAL, Aristide OLAMA, et bien d’autres.
L’écriture, la littérature, en général, est un engagement. Et si on vous reprochait votre tiédeur politique ?
Parmi les trois cent chapelles politiques du Cameroun, je suis Chargé de mission titulaire au Secrétariat du Comité Central du RDPC depuis plus de vingt ans. Ceux de mon obédience politique connaissent les services que j’ai pu rendre à ce poste, dans la stricte déontologie de mon statut. Les chargés de mission ne sont pas des membres du comité central, mais des technocrates du parti. Par ailleurs, ayant eu presque tout le temps de grandes responsabilités au niveau associatif culturel et littéraire, j’ai toujours veillé à maintenir la cohésion intellectuelle au-dessus de l’immersion partisane. Tout en prônant l’apolitisme dans les associations, j’ai encouragé les auteurs à militer dans les partis politiques de leur choix. Et quand nous avions une position à prendre par rapport à des problèmes de la société, j’ai invité mes consœurs et confrères écrivains à se mettre au-dessus des engagements partisans. A titre d’illustration, notre déclaration du 16 Aout 2019 sur la situation sécuritaire au Cameroun dans laquelle nous avons interpellé toutes les parties prenantes au conflit, à savoir le gouvernement, l’opposition, la communauté internationale, etc. Comme vous le voyez, je ne suis ni tiède ni indifférent. Je suis un citoyen responsable. Ceux qui me reprocheraient ma tiédeur me cherchent peut-être dans la bruyance de rue, mais j’ai choisi la hauteur.
Un phénomène remarquable s’opère en littérature camerounaise, où des femmes se tiennent désormais sur le haut du pavé. Quel est votre regard sur cette tendance ?
Il est notoire que la féminiture prend de l’ampleur et de l’altitude depuis ces dix dernières années, non seulement au Cameroun, mais en Afrique. Une sorte de revanche du genre sur les anciens dominateurs masculins. Pour peu qu’on lève les yeux, on remarquera que le phénomène est également visible dans les autres domaines d’activité. Le sport par exemple. Le football féminin n’est plus une rigolade ! Cette vision large me fait penser que les politiques universelles en faveur de l’autonomie de la femme, de la parité, de la liberté d’expression, de la scolarisation des filles, etc. commencent à porter des fruits. Pour revenir aux écrivaines, nous devons remarquer que l’explosion actuelle se rattache tout de même à une certaine lignée assez longue de grandes plumes de genre au Cameroun et en Afrique.
Vous avez écrit beaucoup de nouvelles dans votre parcours d’écrivain…Quelle est la caractéristique de ce genre souvent méprisé par la critique ?
En effet, bien que n’ayant pas publié de recueil, j’ai écrit de nombreuses nouvelles dans des périodiques. La plupart de ceux qui « méprisent » la nouvelle ont du mal à la distinguer du roman. Certains la considèrent comme un roman en abrégé ou un chapitre de roman. En 1994, j’ai présenté une communication dans un colloque à l’Université Catholique de Louvain-la-Neuve en Belgique qui a retenu l’attention des chercheurs, intitulée : Le Lièvre n’est pas le plus jeune des animaux ou comment affranchir la nouvelle de la tutelle romanesque. J’avais opté de débrouiller la relation entre le roman et la nouvelle en tentant un rapprochement entre le lièvre et l’éléphant. Je montrais l’inanité d’une comparaison entre les deux animaux, chacun d’eux étant complet et parfait en lui-même. Le lièvre est complet dans sa nature. Il ne lui manque rien. Il n’est pas appelé à devenir éléphant… Une comparaison plus simple peut être tirée du sport. La nouvelle serait comparée à la course de 100 mètres et le roman à la course des cinq mille mètres. Chacune des disciplines exige une aptitude particulière chez l’athlète: la rapidité pour les cent mètres et le souffle long pour les cinq mille.
Vous avez écrit de nombreux textes adaptés à la radio… Avec l’évolution des nouveaux médias, comment rattraper ce genre qui se meurt ?
C’était à l’époque où Radio France International lançait annuellement le concours théâtral interafricain. J’écrivais des pièces de théâtre classiques qui étaient ensuite montées en pièces radiophoniques.
Techniquement, il devrait être plus facile aujourd’hui de transformer les œuvres dramatiques en pièces radiophoniques par le passage du texte écrit en audio, moyennant quelques indications scéniques de bruitage…
Le véritable problème du théâtre vient du surgissement du « one man show humoristique » qui permet d’éviter la lourdeur de la gestion d’une troupe de théâtre. Cela entraine une grande déperdition au niveau thématique. Tout est humour maintenant. Plus de tragédie ! Plus de drame ! Nous voulons rattraper ce pan de la création dans le cadre des Prix littéraires du Mont Cameroun en gestation où une place sera réservée à la dramaturgie.
Vous avez écrit dans la langue française. N’êtes-vous pas envieux d’un Ngugi wa Thiongo, l’écrivain kenyan qui écrit en kikuyu, sa langue maternelle ?
Ngugi est le modèle absolu de l’écrivain africain ! C’est pour cela que nous sommes tous admiratifs de son courage et de sa réussite. La langue est le dépositaire de notre culture, de notre identité, de notre vision du monde.
Mais comme vous pouvez le remarquer, NGUGI demeure presque seul dans cette situation où tous les écrivains africains aimeraient être. C’est qu’il y a de fortes raisons à cela.
Avant qu’un écrivain ne puisse se saisir d’une langue pour passer des messages enveloppés de littérarité, il faut que cette langue soit codifiée pour son passage à l’écrit. Que les abécédaires, les syllabaires, grammaires et autres dictionnaires soient scientifiquement rendus disponibles. Il faut aussi que la communauté partageant la langue soit alphabétisée dans ladite langue. Tous ces préalables sont d’ordre politique. Au Cameroun, Afrique en miniature, nous avons deux cent cinquante langues dont une quinzaine commencent à être exploitées par écrit. Combien de temps faudra-t-il pour que les deux cent autres (si tel est que chacune doive accéder au statut de langue écrite) arrivent à être codifiées et diffusée ? Alors, pour ne pas désespérer, j’écris en français en densifiant le plus possible le substrat culturel, dans l’espoir qu’un jour l’évolution technologique permette aux générations futures de transcrire nos écrits colonisés actuels dans nos langues…Personnellement j’entends hâter l’avènement de nos langues, encore une fois, à travers les Prix Littéraires du Mont Cameroun en gestation en réservant un prix aux œuvres en langues nationales.
Pour vous, qu’est-ce qui fait la valeur d’un texte littéraire : la qualité de la langue, la capacité à envouter ? La capacité à transgresser les interdits et les règles ? Ou quelle autre caractéristique ?
Une juste harmonie ou orchestration des différentes qualités que vous citez. Une œuvre bien écrite mais vide de sens ne plaira pas plus qu’une œuvre pleine de sens et mal écrite. Le plaisir de la lecture et l’apprentissage de la vie vont toujours de pair. Ce qu’il faut bien se mettre en tête c’est que l’écrivain est un acteur de la société, au même titre que le philosophe, le sociologue, le religieux, le politique, œuvrant sur le chantier commun de la recherche du bonheur de l’homme. Chacun de ces acteurs propose des solutions qu’il essaie de faire admettre avec les outils de sa profession. L’écrivain a pour armes l’habileté de la langue et la manipulation des sentiments. Il scénarise ses histoires et les raconte de façon à susciter l’enthousiasme du lecteur ou sa révolte par rapport aux situations décrites. L’art pour l’art est un slogan creux pour l’écrivain africain.
Avez-vous le sentiment d’avoir déjà tout accompli en ces cinquante années de rayonnement littéraire ?
J’ai fait l’essentiel.
Quels sont vos lieux et moments d’écriture préférés ?
Dans toutes les maisons que j’ai construites ou occupées j’ai toujours réservé une pièce comme bibliothèque, lieu de lecture, d’écriture et de pensée. Mes heures favorites sont situées avant l’aube, quand tout dort encore et qu’on sent le cosmos à travers la fenêtre. Le plein jour me trouve souvent à ma table de travail et j’enchaîne.
Quel est votre outil d’écriture ? Stylo, feutre, machine à écrire ? Ordinateur ?
L’ordinateur, directement.
Comment avez-vous apprécié les facilités qui sont venues avec le temps ?
J’ai appris à écrire à la machine dès mon entrée au collège de la Salle à Doumé. Si bien que le passage à l’ordinateur m’a été assez aisé. J’apprécie surtout la présence du correcteur orthographique dans l’ordinateur, pour me reposer du casse-tête de l’orthographe et de la syntaxe de la langue française.
Dans les différentes générations d’écrivains camerounais…Dites-nous ce que vous avez admiré chez Mongo Beti…Ferdinand OYONO… Guillaume OYONO Mbia…Patrice KAYO…Patrice NGANANG….Léonora MIANO….Djailli Amal…
Les écrivains que j’ai admirés sont bien plus nombreux que ceux que vous citez ! Il faudrait ajouter René PHILOMBE, Calixthe BEYALA, Hemley BOUM, Francis BEBEY, Remy MVOMO MEDOU, Jacques FAME NDONGO, Camille NKOA ATENGA et beaucoup d’autres encore ! J’aurais mauvaise conscience, parmi tant de génies, de magnifier quelques-uns et taire les autres. Je suis un héritier fier de la vitalité de la littérature camerounaise !
Et si on vous demandait de rédiger votre épitaphe ?
Dans mes années de jeunesse, lorsque je me croyais destiné à bousculer le monde de la littérature, voici ce que j’avais écrit à la page de garde de l’un de mes journaux littéraires. « Après Mongo Beti je ferai de Pabe mongo le second sommet de la littérature camerounaise transformant tout le reste en vallée ». Je laisse à la postérité le soin de rédiger l’épitaphe.
Comment va se dérouler concrètement le jubilé ?
Le jubilé va se dérouler en trois jours, les 15, 16 et 17 Novembre 2022, au Musée national. Une exposition générale de mon patrimoine scriptural va sous-tendre tout l’événement. Le premier jour sera marqué par la conférence du Professeur VOUNDA Marcellin, le second par la conférence du Professeur Patricia ENAMA BISSA et le troisième jour par la solennité de la présidence du MINAC et le discours d’hommage général par le professeur Faustin MVOGO. Tout ceci agrémenté par des intermèdes culturels et des dédicaces. Mon bonheur serait de sourire et de serrer la main à la moitié du Cameroun à cette occasion
De Pascal Bekolo Bekolo à Pabé Mongo… Pourquoi et comment s’est opéré le dédoublement ? Comment le vivez-vous tous les jours ?
C’était la mode, à l’époque, de prendre un nom de plume. On entrait en écriture comme on entre en religion, en prenant un nom de baptême. René PHILOMBE est le nom de plume de Philippe-Louis OMBEDE ! EZA BOTO ou MONGO BETI, sont les noms de plume utilisés par Alexandre BIYIDI AWALA. François SENGAT-KUOH écrivait sous le pseudonyme de Francesco NDTSOUNA… J’ai suivi ces devanciers avec d’autant plus de facilité que la fabrication de mon pseudonyme prenait ses racines dans le cadre familial. Pour faire de moi son homonyme complet, mon père qui s’appelait Pascal BEKOLO m’a surnommé Pascal BEKOLO BEKOLO, ce qui s’abrège en communauté Beti en Pascal BEKOLO MONGO et qui devient, dans la bouche des enfants Papa MONGO (Petit PAPA) ! A partir de ce fond familial je crée une anagramme en combinant les premières syllabes de mes deux noms Pascal Bekolo) MONGO qui s’intègre tellement bien dans la parlote familiale que tout le monde s’engouffre là-dedans ! Et cela part ainsi. Mon grand frère qui semble suivre mon destin avec intérêt découvrira plus tard que mon pseudonyme associait les noms de notre père Pascal à celui de notre mère Bernadette ! Et il verra en cette association bénie, le fondement de mon brillant destin ! Toujours est-il que j’étais devenu pour tout le monde Pabé MONGO ! Un nom qui va totalement effacer celui que mon père m’avait donné ! Au point où quand j’ose me présenter comme Pascal BEKOLO BEKOLO, même en y ajoutant la particule nobiliaire de Dr, personne ne me croit ! J’ai connu quelques aventures amusantes avec ce surnom. Il est arrivé bien des fois que je sois invité à des rencontres internationales sous le nom de Pabé MONGO et que les services consulaires me bloquent à l’aéroport. Mêmes démêlés avec les mandats ou droits d’auteur libellés au nom de Pabé MONGO, que j’avais du mal à toucher.
Maintenant tout est scellé. Je ne m’appelle plus que Pabé MONGO. J’ai d’ailleurs donné ce surnom comme nom à mon tout premier petit-fils : Pabé MONGO !