L’histoire remonte à 2020. « Ma mère souffrait d’une infection dans le vagin. Nous avons séjourné à l’hôpital général de Douala, puis à l’hôpital protestant de Bangoua, après des hôpitaux ordinaires au début. C’est à Shisong, dans le Nord-Ouest, après plusieurs mois d’errance et des dépenses insoutenables, qu’on a su qu’il s’agissait du développement malin d’un cancer de l’utérus », résume Eric. Pour le malheur de sa génitrice, le jeune praticien qui les reçoit va prescrire certains examens à faire hors de là, avant de décider de la conduite à tenir. Pour rentrer, ils emprunteront la route de Jakiri pour joindre le Noun, avant d’aller à Yaoundé faire les examens. Au moment d’y retourner, ils se heurtent au blocage de la circulation par les sécessionnistes et passent plusieurs jours à Bamenda à attendre. La situation de sa mère s’empire, ses organes exhalent une odeur qui interdit qu’elle emprunte un car de transport public. Le temps de chercher une voiture qui accepte de les accompagner, elle va décéder.
Malgré son travail d’enseignant, Serge T., vit à Bamenda depuis 14 mois. Il a été obligé de prendre un local pour loger son père, qui suit des soins orthopédiques à Mbingo, où il lui est impossible d’habiter. Les va-et-vient entre l’hôpital et cette maison, située pourtant au cœur de la ville, Bamenda et son poste de travail à l’Ouest, ont amené les Ambaboys à pénétrer chez lui de nuit, pour exiger une importante somme d’argent. Il n’y séjourne encore qu’après avoir payé. Les souvenirs sont très nombreux, de ces gens qui ces cinq derniers années, ont perdu un être cher, parce qu’ils n’ont pas pu accéder au « bon médecin ». Le bon médecin, c’est celui d’un de ces hôpitaux « anglophones » vers qui beaucoup de malades couraient hier, lorsqu’on avait désespéré ou fini de tâtonner sur leurs cas.
Moins chers et efficaces
De quoi faire regretter ces hôpitaux célèbres, dans lesquels on fait « le travail de Dieu ». En réalité, si l’on excepte quelques cas, l’erreur étant humaine, la plupart de ceux qui ont par le passé sollicité les services des hôpitaux missionnaires du Nord-Ouest, en sont rentrés avec une satisfaction certaine. « Quand vous arrivez dans ces hôpitaux avec votre malade, les médecins procèdent à un diagnostic sérieux et vous disent combien il va falloir déposer pour qu’on le traite. Lorsque vous déposez ce montant et éventuellement une caution dans certaines hypothèses, le patient est mis sous traitement, jusqu’à sa guérison », explique Christian Nzeusseu, qui a conduit sa mère à Mbingo en 2017. En effet, le calcul des sommes consommées est effectué en toute transparence et le reste de l’argent s’il y en existe est remboursé. « On ne vole pas les médicaments », précise-t-il.
Aurélien Koueneye se souvient aussi avec satisfaction de son séjour dans ce même hospice, en 2013, avec son père. L’instituteur André Koueneye, aujourd’hui retraité, dont les blessures avaient été déclarés inguérissables par les hôpitaux de Mbouda et de Penka Michel, y a trouvé la guérison. « En moins de trois mois », précise le garde-malade d’antan. C’est pourquoi lorsque lui-même fait un accident des années plus tard sur la route de Galim, dans les Bamboutos, et que sa tête prend un coup, son père l’a retiré des urgences de l’hôpital régional de Bafoussam pour le conduire à l’hôpital protestant de Mbo-Bandjoun. « Le médecin qui a reçu mon fils en urgence a prescrit un scanner que nous avons payé alors qu’il savait bien que cette machine était en panne depuis des mois. Lorsque nous sommes allés à la radiologie, les infirmières se sont mises à rire. Je l’ai emmené là où on ne se moque pas des malades », précise le vieux Koueneye. Il aurait bien voulu conduire aussi son fils à Mbingo mais les nouvelles sur la sécurité du tronçon entre Bamenda et ce village du Boyo n’étaient plus rassurantes. L’escorte avait lieu seulement certains jours de la semaine et souvent, les voitures sont attaquées par les Ambaboys, nouveaux maîtres de certains terrains. Contre mauvaise fortune, il laissera son fils faire la rééducation à Mbingo Annex de Bafoussam, où des équipements étaient en train d’être transférés pour suppléer la paralysie de l’hôpital principal.
Au service de Dieu
Dans cet ancien dispensaire des lépreux où on traite désormais avec efficacité les blessures et les accidentés, tout comme à Shisong ou Acha Tugi, les pensionnaires venus de la zone francophone du pays admirent la manière dont on prend soin des malades. « Ils ne font pas d’ordonnances fantaisistes. On ne prescrit pas de médicaments pour les reprendre par la suite. Le dossier du malade reste sur la table de l’infirmier de garde, qui est dans la salle d’hospitalisation. C’est lui qui vient, le moment venu, donner des comprimés à avaler ou faire des piqûres. Le malade doit être très vigilant pour réaliser que les prescriptions ont varié. On ne stresse pas avec le bavardage. En cas de course, le garde-malade n’a pas à s’inquiéter car on veille. Une rotation est effectuée toutes les six heures », témoigne un téméraire, qui y a séjourné récemment, pour qu’on corrige une erreur médicale. Son opération programmée pour une supposée hernie, alors qu’il souffrait d’une inflammation des testicules, à l’hôpital de district de Bafoussam a été annulée par les experts de ce centre, qui l’ont soulagé avec un traitement oral et des injections. « Vraiment, je me soigne encore à Bafoussam juste parce que la route est mauvaise. Il y a l’insécurité partout ».
Conséquence des courses, les patients sont désormais retirés de divers hôpitaux publics pour être conduits dans de petits centres missionnaires, même tenus par des personnels francophones, dans l’espoir d’y recevoir la même attention. Cas à Batscheng’la dans la Menoua ou Djunang dans la Mifi. Ces hôpitaux célèbres sont eux-mêmes en train de créer des annexes dans la partie francophone du pays, comme on peut le voir à Bafoussam où est désormais établi le siège d’Acha Tugi Eyes Hospitals. Cette offre médicale aujourd’hui difficile d’accès était la solution à un affairisme gênant de nos médecins. Mieux, avant la crise, l’Hôpital catholique de Shisong, à Kumbo, était présenté comme le plus grand centre cardiologique d’Afrique centrale. « Les choses y sont tellement évoluées que l’administration médicale procédait à l’enregistrement des patients et des particularités de leurs maladies avant d’inviter les experts pour venir les opérer. Leurs spécialistes viennent de partout dans le monde, en fonction des cas à opérer et de leur disponibilité à aider. C’est pourquoi ils donnent des rendez-vous pour que les malades aillent se préparer car certaines opérations coûtent assez cher », résume Frédéric Takang, correspondant local de Bbc Radio, qui a travaillé sur le sujet. De la sorte, l’on a pu éviter des évacuations risquées à certains malades qui, la plupart du temps, y sont référés après avoir fait le tour de centres médicaux de piètre qualité. La guerre tue, le non-accès aux hôpitaux aussi.