Note de lecture

Ces héros ensevelis par l’histoire

Dr Eugène Jamot, Mongo Beti, Samuel Minkio Bamba, Messi Martin, Mbappe Leppe… Dans son tout premier livre, Désiré Fende plonge les lecteurs dans l’histoire pathétique de ces ‘’grands hommes’’ qui ont œuvré à rehausser l’image du Cameroun mais, qui ont été méconnus par la patrie.
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« Qui est ce vieux hibou, », largue une serveuse dans un café resto de Yaoundé suite à un coup d’œil sur le téléviseur, un soir pluvieux de 1997. Une remarque qui fait ricaner ses clients. Le journaliste pose une question à dix francs : connaissez-vous cet homme ? Il s’appelle Samuel Minkio Bamba. A l’évocation de ce nom, les spéculations se multiplient dans le petit espace : c’est un ancien combattant pour l’indépendance ! Non plutôt un ancien ministre ! Ce n’est pas un de ces sorciers de Kong (zombi) dont on parlait à la radio l’autre soir ? Le présentateur décline enfin son identité : « chers téléspectateurs, voici en chair et en os, le père, le créateur de l’hymne national ‘’O Cameroun, berceau de nos ancêtres’’ ». La déclaration entraine une vague d’indignation : quelle farce ! Ces rigolos, ils jouent avec les emblèmes nationaux. Pourtant l’homme à l’écran n’était autre que l’auteur du chant de ralliement ! Samuel Minkio Bamba qui s’en est allé en décembre 2007 perdu dans l’anonymat dans son village natal au Sud du Cameroun.

Un autre cas d’espèce relaté dans l’ouvrage « Aux grands hommes, la patrie méconnaissante », l’histoire de Big Jo, celui qui est considéré par une frange comme le plus grand boxeur camerounais de tous les temps. « Tu n’es qu’un vulgaire mendiant de bière. C’est ta vie. Guetter de bar en bar, quémander. Même pas honte. A ton âge ! Que fais-tu en ville, toi ? Rentre donc au village ! Dis un peu : tu as déjà acheté une bière comme celle-ci de ta poche un jour ? Non, tu quémandes ! C’est ça ton job, quémander, n’est-ce pas ? ». Un jeune ivrogne vocifère ces paroles à l’endroit de ‘’Big Jo’’dans un bar. L’ancien boxeur, médaillé de bronze aux jeux olympiques de Mexico en octobre 1968 reste coi.  Joseph Bessala était devenu dans ses jours de gloire « le carburant de l’orgueil national » du Cameroun. Boxeur hors pair à l’uppercut sonnant et fulgurant, il a multiplié des victoires pendant une vingtaine d’années. Il donna à la boxe camerounaise ses lettres de noblesse. Il a terrassé sur les rings des Africains, des Arabes, des Européens, des Américains. Il a procuré des sensations fortes à de multiples supporters. Des décennies plus tard, le médaillé olympique n’est qu’un vieil homme amaigri par le poids de l’âge certes mais aussi par les conditions de vie précaires qui sillonne les terrasses des débits de boisson à la quête d’anciens admirateurs, insulté par cette jeunesse qui ne voit en lui qu’un ‘’quémandeur’’. Le héros s’en est allé le 24 avril 2010, méconnu de tous, exposé au mépris.

La situation de Messi Martin, créateur du Bikutsi moderne est tout aussi déplorable que celle de Big Jo. Dans les années 70, il caracole en tête des hit-parades. Sa popularité aura duré de longues années. En 2005, le musicien tire sa révérence. L’auteur de l’ouvrage « Aux grands hommes, la patrie méconnaissante » raconte une scène renversante à l’annonce de son décès. Devant un kiosque à journaux, il est accroché par un encadré d’un journal titré ‘’ Nécrologie : l’artiste Messi Martin est mort’’. Stupéfait, il balade des regards autour de lui en quête de quelque affliction sur les visages, mais il n’en est rien ! S’en suit une conversation des plus insolites avec le jeune kiosquier qui lui demanda si c’était un footballeur. Rendu à la veillée funèbre du musicien, Désiré Fende a été écœuré par l’ambiance qui y régnait : une salle vide aux trois quarts et un spectacle ahurissant. Une fin triste pour ce grand musicien qui révolutionné le Bikutsi !

Désiré Fende dans son ouvrage « Aux grands hommes, La patrie méconnaissante » balade le lecteur dans une série de rencontres avec ces hommes qui ont chacun à leur manière marqué l’histoire du Cameroun. Pendant des nombreuses années pour d’aucuns, ils ont été adulés, ils ont posé des actions qui devraient résonner très fort jusqu’à ce jour. Oubliés par ceux qui les ont autrefois encensés, inconnus par les nouvelles générations, leur fin s’est faite dans l’anonymat.

L’auteur dans ce tout premier livre, relate ces épisodes de sa vie au cours desquels il a croisé le chemin de ces ‘’héros’’ de face ou de biais : Ruben Um Nyobe, Dr Eugène Jamot, Réverend père Engelbert Mveng, Mbappe Leppe, Manu Dibango, Réné Philombe… Dans un recueil de 173 pages, l’écrivain présente ces rendez-vous en quinze nouvelles alléchantes. Dans ce récit autobiographique et biographique édité aux Editions Clé, l’ancien journaliste indépendant utilise un style qui verse dans l’humour. Avec des mots choisis avec précision et parfois propres au contexte camerounais, Désiré Fende balade ses lecteurs dans l’univers de ces grands hommes qui conclut-il n’ont pas obtenu la reconnaissance de la patrie.

L’écrivain déclare qu’ils ont souffert du « syndrome de ces hommes dont le destin est d’enchanter l’histoire mais que l’histoire ensevelit de leur vivant ». Ce livre mérite d’être lu par les générations afin de s’approprier les exploits de ces grands hommes.

 

 

 

 

Titre : Aux grands hommes, la patrie méconnaissante

Genre : récit

Auteur : Désiré Fende

Nombre de pages : 173

Editeur : Editions CLE

Cecile Ambatinda


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