Bangou. Des villageois assiègent la chefferie

 Ils s’opposent à l’adoubement d’Arnaud Tchihou Tayo comme « chef régulièrement désigné » par le Minat et menacent d’installer de force Maurice Gambou sur le trône.
chefferie Bangou

Jeudi, 17 mars 2022, l’atmosphère était lourde à la chefferie Bangou, un groupement de 2ème degré dans le département des Hauts Plateaux, région de l’Ouest. Des gendarmes de faction, bien en armes, sont visibles dès l’esplanade. Contrairement à ce qui a été écrit, il n’y a pas eu d’incendie à la chefferie. Devant le portail qui donne accès à la cour intérieure, une soixantaine de villageois s’est donné rendez-vous en ce lieu et leur nervosité n’échappe à personne. « Nous avons gardé le calme, attendant que l’administration joue son rôle d’arbitre. Mais, nous constatons qu’elle joue mauvais jeu. C’est sur les réseaux sociaux que nous avons découvert, comme tout le monde, que le ministre de l’Administration territoriale a pris fait et cause pour l’autre camp. Le peuple est irrité. Nous avons décidé de prendre notre destin en mains. Nous allons nous-même installer le chef sur le trône, aujourd’hui », s’étrangle Kevin Nganso. 12h03. Une berline blanche tourne dans la grande cour. Protocole improvisé, les villageois sont invités à se mettre en rangs des deux côtés de la cour, pour accueillir Fe’e Maurice Gambou. Les femmes chantent et dansent. Deux personnes, un homme et une femme, sortent du véhicule et viennent vers le comité d’accueil. Quelques minutes de conciliabule, ils repartent. « Asseyez-vous. Ne vous découragez pas. La surprise arrive », dit le maître improvisé des cérémonies dans un haut-parleur.

« A partir d’aujourd’hui, nous n’attendons plus. Ce sont les Bangou qui désignent leur chef et non l’administration. On ne va pas attendre indéfiniment », fait savoir Lydiane Seumo. « En tant que fille Bangou, fait-elle savoir, nous attendions en paix, sans provocation, la décision de l’administration. Or les scellés apposés depuis quatre ans sont chaque jour brisés par des gens à qui on ne demande aucun compte. Bangou doit revenir à la légitimité. On nous a sevrés de notre chef depuis quatre ans », assure-t-elle. Emmanuel Tchiegang, de son nom de notable Mbah Kouh Biesseu, enfonce le clou. « Rien ne va. L’administration ne joue pas son rôle d’arbitre. Quand l’ayant-droit est là, l’intérimaire doit quitter. Nous voulons la paix. Nous sommes là, jusqu’à ce que le gouvernement installe notre roi sur le trône ». En effet, les présents dégustent les prémices d’un riz préparé à la hâte, mais qu’on mange parce que c’est « la nourriture du combat ». Sur deux foyers, des femmes actives préparent du couscous pour nourrir les veilleurs, dont le nombre croît au fil du temps. Assis sur les vérandas des maisons abandonnées du palais, des hommes âgés boivent du vin de raphia, en attendant que le couscous. Ils annoncent qu’en ce jour traditionnellement interdit, les villageois arrivent avec un dispositif d’occupation : des matelas, des marmites et de la nourriture. « Jusqu’à ce que notre chef retrouve son trône ».

Dilatoire  

La veille, réagissant à la lecture du message du Minat, ils se sont rendus grâce à une vingtaine de motos, branches d’arbre de la paix en main, à la rencontre du Sous-préfet, dans ses bureaux de Bangou-ville, à 7km de la chefferie. « Il nous a dit qu’il n’a pas encore reçu copie de la lettre querellée. Et que de toutes les façons, il ne lui appartient pas de commenter les instructions de son patron », résume Alex Kouamo. Des soupçons avaient accompagné quelques jours plus tôt, la sortie du véhicule du défunt chef de la fourrière de la brigade de Bangou, par des proches de l’autre camp, pour un garage bien identifié de Bafoussam. Par la suite, ils ont fait le tour du village à pied, avec Maurice Gambou en tête, pour « rassurer les populations qui avaient pris peur ». Le 15 mars 2022, Paul Atanga Nji a relancé le débat sur la succession à la chefferie Bangou en écrivant dans une lettre au Préfet : « en attendant l’aboutissement de cette procédure, matérialisée par l’Arrêté portant homologation du nommé Tchihou Tayo Arnaud, en qualité de chef traditionnel de 2ème degré de céans, seule autorité traditionnelle reconnue par l’administration, tous autres agissements de qui que ce soit, contraires à la position du Minat doivent être considérés comme des troubles à l’ordre public et traités comme tels ». Les agissements qui justifient cette sortie du ministre ne sont pas connus de tous. Et l’on s’interroge sur ce qui l’empêche précisément de signer l’homologation de ce dernier, dès lors qu’il semble avoir des  certitudes. En effet, écrit-il, « à la suite du décès du chef Tayo Marcel qui a régné pendant 39 ans, les consultations ont été menées conformément à la réglementation en vigueur. A l’issue de celles-ci, Monsieur Tchihou Tayo Arnaud a été régulièrement désigné successeur du défunt chef, en présence des autorités administratives qui en ont pris acte. En conséquence, le dossier portant homologation de cette désignation a été transmis au Minat pour suite de la procédure ».

Légitimité

C’est depuis 2019 que cette chefferie vit un bicéphalisme de fait. Deux chefs ont été initiés dans un cafouillage inouï et attendaient chacun d’être installé dans le fauteuil traditionnel. En raison du décès subit du préfet de l’époque, Félix Bilonougou, les camps en conflit avaient sifflé une pause. Lors de l’installation de l’actuel, Yampen Ousmanou, le gouverneur de l’Ouest, Awa Fonka Augustine avait prescrit le règlement en urgence de la vacance à la tête de cette chefferie. Ce dernier avait rendu compte de ses consultations au Minat. Visiblement, l’influence sociopolitique des principaux soutiens aux deux chefs justifierait la lenteur de Paul Atanga Nji à trancher dans ce dossier complexe. Théodore Datouo, vice-président de l’Assemblée nationale, est la tête de file de ceux qui pensent que la lignée Tayo doit continuer. Et il se mouille pour que sa cause triomphe. En face, le prince Nana Sinkam, cet ex-fonctionnaire international qui avait refusé d’entrer au gouvernement, se prévaut des mêmes grandes amitiés au sein de l’appareil gouvernant, pour soutenir l’adoubement de Maurice Gambou.

Fils de Paul Bernard Kemajou, chef mort en 1985 à Conakry, âgé aujourd’hui de 65 ans, ce denier n’avait passé que quelques minutes de chef. Extrait de force du la’akep, il sera remplacé par Arnaud Tayo Tchihou, ex-étudiant choisi par le défunt chef. C’est le début des contestations. D’une part, la famille du chef Kemajou, qui n’a jamais voilé sa volonté de restaurer la lignée perdue depuis 40 ans, s’est organisée pour avoir son chef, maintenant que les préalables traditionnels semblaient remplis, et a trouvé de nombreuses oreilles attentives. Un la’akep parallèle est créé, où l’initiation de son chef s’est poursuivie. De l’autre, la nouvelle élite, portée par Théodore Datouo, co-président de la cérémonie ayant conduit à cette double désignation, soutenue par des intellectuels comme Shanda Tonme, estime que « 50 ans de la vie d’un peuple ne peuvent pas être effacés ». De nombreux chefs représentatifs ont pris position. La chefferie est mise sous scellés. Derrière les grilles, on vit et se méfie de tout ce qui vient d’en face. Entre légalité et  légitimité, Atanga Nji vient de bousculer les lignes.

  1. K.

Cecile Ambatinda


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