Le petit Bryan, sac sur le dos essaie de se frayer un chemin dans la boutique d’Abou. « Abou, s’il te plaît comme d’habitude. Je suis déjà en retard », plaide le garçon. « Tu as trouvé du monde, il faut attendre », réplique le boutiquier. Le collégien s’aligne et après quelques minutes du pain avec du chocolat lui est servi. Il s’en va soulagé. Nous sommes au quartier Ngousso à Yaoundé, le 12 décembre 2022. Parents accompagnés de leurs enfants, élèves se bousculent dans ce petit espace de commerce et même à l’extérieur. Chacun use de sa ‘’complicité’’ avec le gérant pour rapidement se faire servir. Des scénarios comme celui-ci sont multiples dans les différents quartiers dans la ville. Abou, Aliou, Ousmane, Diallo, Mohammed, les noms varient d’une boutique à une autre. Elles pullulent ces boutiques tenues par des ressortissants étrangers. Sur un espace de quelques mètres, au lieu-dit Pétrolex Ngousso, quatre boutiques sont tenues par des Sénégalais. Les habitants du quartier y convergent en longueur de journée. Chacun y va de sa raison.
Quel est leur secret ?
Ousmane est originaire du Sénégal. Il a quitté son pays natal il y a quatre années pour le Cameroun. Avec l’aide de sa communauté, il a ouvert une première boutique qui est à ce jour gérée par un de ses compatriotes. A date, il a pu acquérir un deuxième espace qui autrefois était occupé par Marie Jacqueline. Après plusieurs faillites, la jeune femme a mis la clé sous le paillasson. « C’était ma seule source de revenus et je résolvais tous mes problèmes à partir des bénéfices de la boutique. C’est vrai que les recettes n’étaient pas bonnes. Je m’efforçais de bien servir mais je n’ai pas pu faire face à la concurrence des boutiquiers sénégalais. Ousmane loue cet espace depuis plusieurs mois et il s’en sort plutôt bien », avoue Marie Jacqueline. La commerçante pense que le manque de solidarité et la jalousie en partie peuvent justifier l’échec des boutiquiers camerounais dans certains quartiers.
A la question de savoir quel est le secret, Ousmane brandit le dialogue. « Je mets en avant le relation humaine. Lorsque je m’installe dans un quartier, je suis à l’écoute de tout le monde. Je fais confiance à tous et lorsque quelqu’un demande un crédit, je lui donne. Cela me permet de juger de la crédibilité des uns et des autres. Des petits cadeaux ne sont pas en trop surtout envers les enfants qui ne vont pas hésiter à revenir », raconte-t-il. Un argument qui trouve l’assentiment des clients. « Les boutiquiers ouest-africains ont le contact facile. Bien qu’ils se soucient de faire de bonnes affaires, ils ne négligent pas du tout les relations humaines », soutient Obana. « Ils ont un sens élevé de la fidélité. Lorsque j’ai besoin d’une denrée chez moi, j’approche le boutiquier guinéen (Diallo). Après une négociation, je me fais servir. Par la suite, je reviens m’acquitter de ma dette. Ce monsieur est très chaleureux. Il sait attirer sa clientèle par son humour », commente Jules Esso. Odile indique qu’elle dispose d’un cahier auprès du boutiquier sénégalais de son quartier : « Je règle ma facture à la fin du mois. Contrairement aux boutiquiers camerounais qui ont tôt fait d’accrocher une affiche ‘’le crédit est mort’’ ».
La disponibilité des produits est un autre critère avancé. « Notre communauté s’assure que nos différentes boutiques soient régulièrement fournies en divers produits afin que les clients n’aient pas à s’éloigner de leurs domiciles pour s’approvisionner en produits de première nécessité », confie Mohammed. Ousmane indique également qu’il achète des produits en fonction de la demande : « Je m’assure qu’un client ne demande pas une marchandise deux fois ». Ces espaces de vente fonctionnent sans interruption. « Lorsque l’un d’entre nous est indisponible, il est directement remplacé par un autre ressortissant de la communauté », se réjouit Mohammed. Les tourne-dos (cafétérias) aménagés deviennent des ‘’parlements’’ (lieu de retrouvailles) dans les quartiers. « Je prends mon petit déjeuner tous les jours à 6 heures chez le boutiquier guinéen. Il n’est pas facile à quiconque d’être prêt à servir tous les jours de nombreux clients à pareille heure », explique Jean-Jacques Fotso.
Incidence sur l’économie
« Mes bénéfices varient entre 20.000 et 30.000F par jour », estime Diallo Baldé, boutiquier originaire de la Guinée-Conakry. Mohammed situe les siennes entre 15 000 et 25 000 Fcfa. Ousmane quant à lui avoue économiser un montant oscillant entre 800 000 et 1 000 000 Fcfa par trimestre. Une partie de cet argent est destiné à mettre sur pied d’autres boutiques. L’autre part est utilisée pour les projets au Sénégal.