Ambroise Kom

Cameroun : la mort programmée de l’école

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De nos jours, on parle de plus en plus de l’obsolescence programmée des objets industriels : téléphones, ordinateurs et autres produits électroniques!  Pour assurer le plein emploi, en effet, l’industrie postmoderne fabrique des objets dont elle s’arrange pour limiter la durée de vie. Pareille stratégie lui permet de garantir à ses usines de production une activité pérenne. Au Cameroun, programmer la mort de l’école ne semble pas correspondre à un projet conscient, mais obéit aux limites d’un régime sans horizon et essentiellement ventriloque. Il s’agit davantage des conséquences ou des limites d’une vision plutôt que d’un projet élaboré. Etant donné qu’ici, nous avons affaire à un gouvernement qui semble se moquer de l’avenir du pays tant il est vrai qu’il ne s’occupe que des stratégies de sa survie, le destin du pays ne faisant point partie de sa vision du monde. « Après nous le déluge !». Voilà qui peut paraître paradoxal pour une gérontocratie qui affiche des prétentions dynastiques ou à qui on attribue ce genre de préoccupations. En définitive le jeu dynastique ne pourrait être qu’une supercherie. Car léguer un pays en ruine ou obsolescent à sa descendance, n’est-ce pas un cadeau empoisonné ?

 

Jusqu’au début des années 1990, le pouvoir dit du Renouveau s’était contenté de gérer l’héritage de son « illustre » prédécesseur. Mais à partir du moment où l’ouverture démocratique, conséquente à la chute du mur de Berlin en 1989, fait bouger le socle sur lequel il s’était tranquillement endormi, le régime sursaute et essaie de trouver des échappatoires pour assurer sa survie. On a ainsi assisté à la radiation de nombre d’étudiants contestataires de l’unique université d’alors, l’Université de Yaoundé. Soit dit en passant ce sont les exclus de l’époque qui pour la plupart se sont retrouvés dans divers pays d’Afrique, d’Europe et d’Amérique et qui forment la pépinière du mouvement aujourd’hui connu comme la BAS (Brigade Anti Sardinard), groupuscule qui donne des insomnies à la ploutocratie de Yaoundé. Et voilà qui explique la frénésie avec laquelle nos oligarques recherchent des boucs émissaires, question de se donner des grains à moudre. La prétendue réforme de l’enseignement supérieur qui a eu pour conséquence la multiplication des universités sans moyens conséquents pour remplir leur mission d’établissements d’enseignement supérieur fait également partie d’une stratégie de désintégration. Dans le même ordre d’idée, on se souviendra du fanatique mais très lunatique Chancelier/Recteur/Ministre, le regretté Agbor Tabi pourquoi ne pas le nommer, qui, dans les années 1990, créa à l’École Normale Supérieure de Yaoundé, l’unique école normale supérieure d’alors, la fameuse et non moins éphémère filière « bio-math », trouvaille géniale d’après lui pour reconvertir des diplômés de biologie en enseignants de mathématiques, parce que disait-il, l’enseignement des mathématiques était contrôlé en majorité par des ressortissants d’ethnies rebelles au régime du Renouveau. Évidemment, l’expérience avorta après quelques années parce qu’elle ne reposait sur aucune étude préalable. Dans quelles conditions un diplômé de biologie pouvait-il devenir enseignant de Maths ? Et dans quelle mesure est-il vrai qu’au Cameroun l’enseignement des mathématiques est l’exclusivité de groupes hostiles au pouvoir ?  Cela reste à démontrer !

 

La démultiplication des établissements scolaires, surtout des lycées, est certes une mesure que ses initiateurs ou même certains utilisateurs peuvent considérer comme un facteur de progrès. Mais à de nombreux égards, le foisonnement des établissements a obéi à des facteurs électoralistes et ne s’est presque jamais fait pour des raisons d’efficacité. Finalement les grands lycées de référence avec des enseignants de réputation ont disparu au profit d’une multitude d’établissements qui rivalisent de médiocrité. Assez ironiquement, ce sont les établissements privés, confessionnels ou même laïcs qui, en dépit de la modestie des moyens mis en œuvre, semblent faire courir élèves et parents. Même les établissements leaders au lendemain de l’indépendance ont presque tous sombré dans l’anonymat et la médiocrité, victimes du nivellement par le bas. Tout se passe comme si au Cameroun, l’excellence se réduisait au costume cravate qu’on arbore dans les écoles dynastiques que sont l’Enam (École Nationale d’Administration et de Magistrature), l’IRIC  (Institut des Relations Internationales) et que sais-je encore ! On observe la même chose au niveau des institutions universitaires où l’on semble dire qu’il faut que chaque région ait sa part d’université. Quelles sont donc les études de faisabilité qui aboutissent à pareilles décisions ? Le pays a-t-il les moyens de faire fonctionner de véritables universités dans chaque région du territoire. Hormis les infrastructures, il faudrait disposer d’un personnel enseignant conséquent. C’est vrai que nous avons inventé les Doctorat/PhD (Original !) qu’on soutient à tour de bras, parfois sur des feuilles blanches pour se faire recruter au Ministère de l’enseignement supérieur sur ordre du grand timonier et en fonction d’équilibres occultes ! Qui dit mieux ? Il s’agit des universités sous l’arbre, sans enseignants dignes de ce nom, ni bibliothèques adéquates, ni laboratoires adaptés. Elles finiront par ressembler étrangement à nombre d’écoles maternelles qu’on trouve dans certains de nos villages ! Qu’à cela ne tienne ! Nous serons bientôt émergents s’il fallait avoir pour critères essentiels le nombre de diplômés des enseignements secondaire et supérieur. Rien ne nous empêchait pourtant de créer deux ou trois pôles universitaires d’excellence, quitte à initier des institutions de premier cycle dans diverses régions pour alimenter les pôles de référence. Dans aucun pays au monde, on ne peut empêcher les enseignants d’un certain prestige d’être exigeants quant à leur lieu d’exercice et leurs conditions de travail. Certains auront vite fait de nous opposer le patriotisme et le civisme comme si les enseignants seuls devaient faire montre de valeurs patriotiques et civiques.

 

Mais il me faut revenir aux enseignements primaire et secondaire pour m’interroger sur une pratique qui a cours dans notre triangle national et sans doute nulle part ailleurs, à savoir, la fétichisation du manuel scolaire. Sans être nostalgique des périodes coloniale et immédiatement postcoloniale, il me souvient qu’autrefois le rôle du Ministère de l’éducation Nationale en matière des programmes d’enseignement se limitait à l’élaboration des programmes et à les communiquer aux divers responsables d’établissements. Chaque école était alors libre de trouver sur le marché les manuels pouvant lui permettre de satisfaire les exigences du Ministère de tutelle pour préparer sa clientèle à faire face aux divers examens nationaux. Par la suite, nous avons connu l’intermède du CEPER (Centre d’édition et de production pour l’enseignement et la recherche), dont la mission essentielle était de produire des manuels scolaires à des coûts raisonnables. On peut aisément imaginer que le CEPER s’inscrivait dans la même démarche que la CELLUCAM (Cellulose du Cameroun, 1976-1986) qui devait produire du papier pour les besoins du pays. Les jalons d’une industrie du livre étaient ainsi posés. Mais comme c’est souvent le cas, la mal-gouvernance est passée par là et a mis en faillite les prometteuses structures.

 

Plutôt que de revenir à la case départ et de se contenter de veiller à l’élaboration des programmes d’enseignement et de laisser libre cours aux divers enseignants de proposer des ouvrages correspondants, l’État a préféré se mêler du choix des manuels en créant une vaste structure logée au Premier Ministère, le Conseil National d’Agrément des Manuels Scolaires et des Matériels Didactiques. Il s’agit sans doute d’une initiative louable mais il me semble pourtant que pareille invention met à mal le secteur du livre au Cameroun et même la créativité des professionnels de l’enseignement. Confier à une structure ministérielle, si performante soit-elle, le choix des manuels scolaires pour l’étendue du territoire est susceptible de créer plus de problèmes que d’en résoudre. Avant-hier, chaque établissement avait la liberté de choisir ses manuels dans un vaste éventail d’ouvrages que pouvait lui proposer le marché et les professionnels de l’enseignement. Aujourd’hui, l’enseignant ou le groupe d’enseignants qui décident de rédiger un manuel doit d’abord se poser la question de savoir si son/leur produit pourra jamais être homologué par le fameux Conseil. Le travail de ladite instance réduit nécessairement l’offre de manuels dans les disciplines diverses car nombre de professionnels trouveront le chemin d’homologation trop tortueux, trop incertain pour s’y aventurer. S’y engager c’est nécessairement prendre le risque de jouer à quitte ou double !

 

Dans de nombreux autres pays par ailleurs, c’est le marché du livre scolaire qui soutient l’industrie du livre, éditeurs et distributeurs de tous ordres. Au Cameroun, le livre scolaire étant devenu du fait du Conseil, un marché captif, nous sommes pour ainsi dire devenus un pays sans librairie, à moins de considérer les papeteries comme leurs substituts. Le marché du livre se réduisant aux manuels scolaires, le créneau semble confisqué par quelques hommes d’affaires qui, bien souvent, n’ont même pas pignon sur rue. Il leur suffit de créer des réseaux de production et de distribution qu’ils gèrent avec d’autant plus d’aisance et de parcimonie que l’activité prend moins de trois-quatre mois de leur temps par an. À l’heure où l’imprimerie numérique devient la norme dans le monde, nos imprimeurs sont encore pour la plupart rivés aux travaux de ville puisqu’en général l’impression du livre scolaire susceptible de générer un substantiel chiffre d’affaires leur échappe. Il en va de même des éditeurs locaux qui se contentent des publications à compte d’auteurs, le pouvoir d’achat ne permettant pas à la population d’intégrer le livre dans ses besoins essentiels, condition sine qua none pour soutenir un marché de l’édition !

 

Comme on le voit, la centralisation n’a pas seulement appauvri l’enseignement en réduisant la diversité des manuels. Pareil système a tué dans l’œuf la créativité des professionnels de l’enseignement et la naissance d’une véritable industrie locale du livre. Les parents se contentent de procurer à leur progéniture les ouvrages inscrits sur les listes officielles des manuels, qu’en importe la qualité. Les conséquences d’une telle politique deviennent dévastatrices au niveau de l’enseignement supérieur. Les étudiants et parfois les enseignants n’ayant pas été habitués à consommer du livre, se contentent des notes de cours et aujourd’hui des notices publiées sur internet comme leurs sources privilégiées d’information. On comprend pourquoi dans une ville comme Yaoundé où vivent des dizaines de milliers d’étudiants, toutes filières confondues, il n’existe aucune librairie universitaire de référence. On peut même se demander où se ravitaillent leurs enseignants, puisque certains d’entre eux perçoivent diverses primes de recherche ! En définitive on peut se demander si la situation  que nous vivons ne correspond pas à une politique délibérée pour maintenir la jeunesse dans l’ignorance de manière à la clochardiser plus aisément encore et de la soumettre sans effort à l’à plat-ventrisme et à la mendicité.

 

Ambroise Kom , Enseignant

akom@holycross.edu

mars 2022

 

 

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Claude Tadjon

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