Cameroun – Intempéries : Les pluies de tous les maux

Population Inon

Idrissa Mamadou, est commerçant depuis les années 1990. Il réside à Pitoa mais, possède des boutiques dans le département du Mayo Rey. Il propose dans ses magasins un assortiment de vaisselle dont la réputation a traversé la frontière nationale. Il a parmi ses clients beaucoup de Tchadiens et de Centrafricains, qui n’hésitent pas à franchir la frontière pour s’acheter des ustensiles indispensables lors de mariages ou d’autres situations du quotidien. Il est trop modeste pour le dire mais, si on se fie à ses incessantes commandes de marchandises au Nigeria où il se fournit, les affaires sont florissantes. N’empêche, ces derniers temps, le quinquagénaire est très perturbé. « Les routes sont impraticables. Les eaux ont coupé tous les ponts. Il y a deux semaines, mon ami a perdu 13 millions de Fcfa, lorsque le camion qui transportait ses marchandises a été emporté par les eaux d’une rivière en crue. La semaine passée, j’ai passé 12 heures à moto pour parcourir 175 km entre Mbaikoua et Pitoa », décrit-il. Plus grave d’après celui qui dit qu’il ne sait plus rester tranquille chez lui à attendre que le mauvais temps passe, « les clients ne viennent plus au marché. Tout le monde est bloqué en brousse par les pluies et la montée des eaux ». Sur les réseaux sociaux, les internautes s’adonnent à cœur joie. Les images les plus partagées sont celles de camions embourbés par dizaines entre Waza et Kousseri. L’on se plaît à mesurer la longueur de la file de voitures qui attendent sur des dizaines de kilomètres que le bourbier se dessèche quelque peu. Ça peut prendre des jours…

Théâtre d’un mélodrame

La route entre Fotokol et Kousseri est le théâtre d’un mélodrame. Ce sont 75 km qui servent de cordon ombilical entre l’Afrique de l’ouest et l’Afrique du nord. Un Tik Tokeur a publié une vidéo qui s’arrache. On y voit des motocyclettes patiner dans de la boue. Le commentateur clame que le trajet coûte 35 000 Fcfa aux casse-cous qui s’y risquent. Mais, il y a plus exotique sur cette route. Pour le transport des innombrables marchandises, l’on a sorti des ânes et des charrettes. Samedi dernier, la digue sur le Logone entre les localités de Tekele et Alvakai, près de Maga, a cédé. Plusieurs localités du Logone et Chari (Zina et Waza) et du Mayo Danay (Kaï Kaï, Vélé, et Yagoua) sont sous les eaux. Une douzaine d’autres villages dans le Mayo Danay et dans le Logone et Chari, ont été dévastés. Des maisons et des champs détruits. Des centaines de personnes déplacées sont sous la bienveillance de la Croix rouge locale. Dans la région du Nord, dans le département du Faro qui n’a que deux arrondissements, l’arrondissement de Poli est coupé de celui de Tchamba. Depuis deux semaines, la montée des eaux rend les routes impraticables. Le ravitaillement des administrations, des hôpitaux et des militaires, se fait à dos d’hommes. Le département du Mayo Louti est le moins touché. Toutefois, il est impossible de se rendre par la route à Doumo, localité de l’arrondissement de Mayo Oulo. La situation la plus alarmante est celle du Mayo Rey qui couvre la moitié de la région. La ville de Madingring, est inaccessible. Il est impossible de partir de Madingring pour Touboro, il n’est pas non plus possible d’atteindre le grand centre commercial Éléphant ou l’autre village tout aussi prospère qu’est Phacochère. Lawouol Goudjol est coupé de Mbilougui. On peut à peine arriver à Sorombewou. A partir de Boum, on ne peut se rendre à Madingring parce que le pont à l’entrée de la ville a été emporté. On ne peut pas accéder au département en passant par Rabinga sur la nationale n°1, parce que le radier de Mayo Sina est trop haut. Entre Rey Bouba et Mbaikoua, le pont de Nkonrong a disparu sous les eaux. L’on pense qu’il est encore fixe, mais immergé sous au moins deux mètres d’une rivière tumultueuse. Cela fait que le trajet entre Rey Bouba et Mbaikoua qui en temps normal dure deux heures, se fait aujourd’hui en 24 heures. Simplement parce qu’il faut un détour par Tchollire, Guidjiba, Lagdo, Bibemi, Adoumri, Mayo Loppe… un détour de 400 km ! Le plus menaçant reste la digue qui protège la retenue d’eau de Lagdo. Le 13 septembre dernier, Eneo, qui exploite le barrage de Lagdo, annonçait que la retenue était pleine à 91% et justifiait le relâchement des eaux. L’opération que l’on croyait ponctuelle s’est répétée au moins une fois la semaine dernière. Les eaux avaient envahi des maisons à Lopere, près de l’usine des Brasseries du Cameroun à Garoua. L’on espère que le barrage va tenir parce que s’il cède, la ville de Garoua sera engloutie. La route qui relie le Nord et l’Adamaoua sera inondée et peut être coupée. Quoi qu’il en soit, l’impact des eaux se fait déjà ressentir. Depuis quatre jours la ville de Bokle est sans électricité. Les poteaux qui transportent l’énergie seraient tombés. « Nous espérons que le fait d’avoir beaucoup d’eau pour avoir de l’électricité à Garoua ne va pas se transformer en avoir beaucoup d’eau et ne plus avoir de lumière à Garoua », fait remarquer Abdoulaye, fin observateur de l’actualité de la région. Il ajoute : « Il est très difficile de lutter contre la nature. La situation météo cette année n’est pas favorable à l’activité. La plupart de nos routes sont en terre, la plupart des ouvrages qui datent de la fin des années 1970 sont des radiers construits trop haut et la pluviométrie est très élevée. Deux faits surprennent : il y a des stations météo dans tous les départements du Cameroun qui devraient annoncer les intempéries pour que des mesures conservatoires soient prises ; le deuxième c’est qu’il existe un Observatoire national du changement climatique qui est comme une direction générale avec un gros budget. Mais, on ne sait pas ce qu’il observe ou ce qu’il propose ou encore ce qu’il fait. C’est peut-être un autre machin créé pour donner de hautes fonctions et des indemnités à des copains. Et cette déshérence a des effets sur les populations », pense-t-il.

Production agricole faible

Il expose que sur le plan économique, la production agricole sera faible. Les fortes pluies ont inondé beaucoup de champs sont détruits. La sécurité des personnes et des biens est donc compromise. Beaucoup de villages sont inondés, des habitions détruites des personnes déplacées. «Quand on pose la question aux autorités responsables, elles font une curieuse réponse elles disent que ces citoyens se sont installées dans des zones interdites d’habitation et pourtant elles y sont installées depuis de longues années et tout le monde les voit bien», dit-il dans un petit rire nerveux et goguenard. Il poursuit que sur le plan de la sécurité on dépense plus pour obtenir moins. « Pour le moindre service de l’Etat, les délais d’intervention sont plus élevés, le matériel utilisé, les véhicules se dégrade plus vite, il faut plus d’argent pour le maintenir, des bandits par exemple, évoluent entre deux eaux profitant de ces aléas ». Et de s’inquiéter : « On est étonné de ne voir aucune mobilisation pour prévenir de ces désagréments, mais on voit de la gesticulation pour aider, c’est à dire qu’on attend que la situation se dégrade pour venir aider. Or, même si on secoure à 2% on ne peut pas aider un sinistré qui a tout perdu. Il est moins cher d’avoir des routes bitumées que d’avoir des routes de terre, parce qu’il faut entretenir ces dernières chaque année au tiers de la somme qu’il faudrait pour les recouvrir d’asphalte. Pire, ces routes n’ont pas de rigoles, donc elles sont saisonnières. Ça affecte tout le monde, quand ça affecte le transport tout le monde consomme, quand ça affecte la sécurité, tout le monde en a besoin. Nous ne savons pas quelles sont les perspectives exactes », s’inquiète notre interlocuteur. Lundi, le ministre de l’Administration Territoriale, a fait un don à Kousseri. Des aliments et des kits de survie ont été acheminés dans 59 camions civils et 10 camions militaires. Une grosse opération qui a certainement pris des semaines à être décidée, préparée, mise en place puis réalisée. Le « geste de solidarité du couple présidentiel » était destiné aux populations sinistrées à la suite des inondations dans le département du Mayo Danay et du Logone et Chari. Lesquelles ?

Aziz Salatou

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