Le week-end dernier au quartier Olembé à Yaoundé, une veillée funèbre battait son plein. Il y avait du monde. Pour entretenir la soirée et les personnes venues rendre hommage au défunt, des gros baffles propulsaient des musiques religieuses. L’avis du voisin ne comptait guère. « Tout le monde » était concerné par le triste évènement. Le samedi dans l’après-midi, un nombre important de corbillards conduisaient des dépouilles à leurs dernières demeures ; ceci sous la conduite tonitruantes des gyrophares ronflants. Le même soir non loin du secteur dit « Njeunassi » vers Nyom, une famille nombreuse se trémoussait au rythme des sonorités locales. Elle en a pris l’habitude les samedis soirs. Un petit baffle est toujours bien installé dans la cour. Enfants, mère et père « tuent la soirée » en sirotant une bière. Au même moment, le nouveau snack du dispensaire Messassi joue sa partition, musicalement parlant. Aux environs de 4 heures le matin, l’église de réveil du coin prend le relais. Il y a encore quelques semaines, c’est une dame qui se plaignait de ce que, « Planète Ponce », le complexe culturel de l’artiste Lady Ponce, situé au quartier Messamendongo, mettait à mal son état de santé. Sa vidéo avait tenu la toile en haleine pendant plusieurs jours.
Un rythme auquel s’est déjà habitué Blaise Noah. Ce jeune élève en classe d’examen avait fait de cet environnement agité un élément de son quotidien. « Je n’avais pas le choix », se résigne-t-il. Cette empreinte n’est pas le propre des quartiers Messassi et Olembé. Nous sommes allés à la Carrière, à Nkolndongo, Anguissa, Essos, Ngousso, Manguiers… Le constat est le même. Les nuisances sonores de natures différentes ont pris possession de ces coins réputés pour leur vie nocturne. Certains quartiers se laissent embaumer au fil du temps par cette réalité.
En journée, c’est l’usage abusif des klaxons qui agace les usagers. Certains moto-taximen ont installé le klaxon des camions sur leurs engins. « Au niveau des carrefours et des hôpitaux, on a l’impression que ces conducteurs perdent complètement le contrôle. Ils klaxonnent à un rythme infernal mettant à mal les malades alités. Je suis une victime vivante. Ce n’est pas normal. Il me semble que l’usage de cet outil est règlementé. Les malades qui sont internés dans les hôpitaux construits en bordure de route ruminent leur douleur au quotidien. Il est interdit de klaxonner devant les hôpitaux. Mais chez nous, cette norme est toisée au quotidien », confie André Blaise Onana, la soixantaine bien sonnée. Et d’ajouter : « Observez bien en ville. Vous êtes dans un taxi. Derrière vous, un taximan klaxonne à fond ; même quand il y a embouteillage. Vous sortez de là avec des migraines et des palpitations à la limite. C’est inadmissible car cela met nos oreilles à rude épreuve au quotidien ». Une brutalité d’un autre genre. Personne n’est à l’abri. Même les élèves dans une auto-école vers Emana en paient le prix fort. « Nous faisons cours ici à partir de 8H. Parfois, c’est désagréable parce que les moto-taximen et les taximen utilisent abusivement le klaxon. Les camionneurs alors peuvent créer des accidents facilement avec les leurs, car le son est très fort », souligne Marie Gisèle.
La prolifération des bars, parfois en violation de la règlementation en vigueur, est pointée du doigt comme l’une des raisons de ces nuisances : « Regardez les quartiers comme Essos, Nkolndongo, Etoa-Meki. Vous verrez que la réglementation n’est pas respectée pour ce qui est de l’ouverture des débits de boisson. Chacun se lève un matin, ouvre son snack-bar sans se demander s’il est en règle ou pas. La distance requise n’est pas respectée. Très souvent, certains misent sur un matériel audio lourd pour aguicher la clientèle. Dans des coins pareils, si vous avez 4 bars animés, ça devient du brouhaha assourdissant. C’est ce que nous vivons », se désole Franck Djuiche, enseignant. Les tenants de ces lieux de commerce ne prennent aucune disposition pour limiter la portée sonore. « S’ils avaient même les moyens d’augmenter les zones de propagation, ils le feraient », glisse Armand, vendeur à la criée. Il ajoute : « Vous avez les cars podium qui nous fatiguent au quotidien dans la ville. Tantôt ce sont les entreprises de pari sportif, tantôt les ambulances parfois vides ou la campagne promotionnelle des articles. Nous sommes noyés dans les bruits dévastateurs chaque jour à Yaoundé. Quand il fait alors soleil, vous pouvez piquer une crise. On souffre. Les autorités ne font rien. La loi est violée sous leurs yeux. Parfois, ils sont derrière certaines activités de nuisances sonores ».
La problématique de la nuisance ou pollution sonore est préoccupante dans la capitale politique. Des familles victimes de ces maux préfèrent avaler leurs nombreuses plaintes question de préserver la cohésion sociale. Selon le sociologue Thaddée Xavier Owona Bidi, la recrudescence des bruits et même la montée en intensité de ceux-ci sont potentiellement liées au phénomène de mutation du lien social urbain. « En effet, les mutations urbaines s’accompagnent par une forme de normalisation du bruit, désormais considéré comme un ‘’son social’’. Ce bruit est concomitamment source et enjeu de coordination urbaine, tout en étant un facteur de conflictualité sociale ». Pour lui, le bruit participe à la définition des ambiances urbaines et son intensification, tout comme sa montée en puissance dans nos grandes villes aujourd’hui sont indissociables de la mutation urbaine actuelle.