Crise anglophone

Médiation du Canada : questions autour du démenti du Cameroun

Le gouvernement canadien a pourtant annoncé avoir accepté de jouer un rôle de facilitateur dans le processus, en raison de l’engagement des parties en crise dans la recherche et la promotion de la paix et de la sécurité.
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Image d’illustration

 

Il aura fallu quatre jours pour que le gouvernement camerounais réagisse, face à ce que nombre d’observateurs ont considéré comme une lueur d’espoir dans le ciel agité de la guerre sanglante qui sévit dans les régions anglophones du pays, depuis 2017. Le vendredi 20 janvier 2023, les autorités canadiennes ont annoncé s’engager pour un processus de paix durable au Cameroun. « Le Canada a accepté de jouer le rôle de facilitateur dans ce processus ». Un processus « en vue de parvenir à une résolution globale, pacifique et politique du conflit », affirme dans un communiqué, la ministre canadienne des Affaires étrangères, Mélanie Joly. Prenant en compte le lourd bilan humain, les atteintes aux droits de l’homme et dans le cadre de son engagement à promouvoir la paix et la sécurité dans le monde, elle dit s’engager pour sauver de nouvelles vies. « Les civils sont les plus touchés par la crise actuelle au Cameroun. Plus de 6 000 personnes ont perdu la vie depuis 2017. En outre, près de 800 000 personnes ont été déplacées en raison de cette crise, 600 000 enfants n’ont pas pleinement accès à l’éducation », regrette-t-elle.

La cheffe de la diplomatie canadienne se félicite de ce que les parties au conflit aient (enfin) accepté d’entamer ce processus. « Les parties ont également convenu de former des comités pour commencer à travailler sur des mesures de confiance. L’accord visant à amorcer un processus formel constitue un premier pas essentiel vers la paix et vers un avenir plus sûr, plus prospère pour les civils touchés par le conflit », informe-t-elle. Au rang des parties, elle cite outre la République du Cameroun, le Conseil de gouvernement de l’Ambazonie, le Mouvement populaire de libération de l’Afrique, les forces de défense du Sud-Cameroun, le gouvernement intérimaire, ainsi que l’équipe de coalition de l’Ambazonie.

Le bout du tunnel ?

De sources diplomatiques, plusieurs discussions ont eu lieu à divers endroits du territoire canadien, pendant lesquelles une feuille de route vers un potentiel accord de paix avait même été adoptée. « Lors de ces séances, le rôle du Canada en tant que facilitateur a été formalisé. Le Canada qui sera le seul facilitateur dans ce processus », informe même Rfi. Alors que la ministre souhaite l’adhésion au processus d’autres groupes rebelles, seul Daniel Capo avait ouvertement confirmé la participation du « Conseil de gouvernement de l’Ambazonie [The Ambazonian Governing Council] » aux négociations. « Excellente initiative pour une paix durable ! Je tiens à saluer l’initiative de la République du Cameroun, du Conseil de gouvernement de l’Ambazonie (AGC), du Mouvement de libération du peuple africain (APLM), des Forces de défense du Southern  Cameroon (SCDF) et de l’Équipe de coalition ambazonienne (ACT), qui ont accepté de s’engager dans un processus de paix. Il est également impératif pour d’autres parties prenantes de rejoindre et soutenir le processus. Je félicite également l’intervention du gouvernement canadien et je souhaite que le processus connaisse un succès total », s’est enthousiasmé Me Félix Agbor Bala Nkongho, leader de la société civile dont cette guerre a changé le destin.

Son espoir vient d’être douché. Lundi, 23 janvier 2023, le gouvernement camerounais, par la voix de son Ministre de la Communication dit ne pas se reconnaître dans ces négociations. René Emmanuel Sadi dit qu’« il n’a confié à aucun pays ou entité extérieurs un quelconque rôle de médiateur ou de facilitateur pour régler la crise dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ». Le gouvernement rappelle qu’« il appartient d’abord au peuple camerounais, aux institutions et aux dirigeants qu’il s’est librement donnés, de rechercher des voies et des moyens appropriés pour la résolution des problèmes auxquels notre pays est confronté ».

L’annonce de la médiation était pourtant bien accueillie. « Cette guerre inutile a trop duré. Il faut qu’elle cesse. Nous devons retourner au travail, reconstruire et habiter un pays paisible », commente un enseignant de lettres à l’Université de Bamenda. Qui assure que malgré les victoires militaires de l’armée sur les rebelles ces derniers temps, la vie demeure incertaine dans le chef-lieu de la Région du Nord-Ouest. Une incertitude qui s’accroit à mesure qu’on s’éloigne de là et qu’on s’achemine vers des zones moins militarisées, où certains chefs de guerre, inspirés par le séparatisme – plus exactement ce qu’ils appellent la marginalisation par les francophones – ou le banditisme règnent toujours en maître. L’impossibilité d’accéder aux centres de soins de qualité, la suspension des activités des Ong comme Médecins sans frontières, l’enlèvement de pauvres citoyens contre chantage et rançon, les règlements de compte … ont fini de faire du Noso un coin du pays où il ne fait pas bon vivre.  

Communication

Un diplomate canadien, du rang de la Ministre des Affaires étrangères, peut-elle mentir ? Peut-elle, sans créer un incident, annoncer avoir travaillé avec des parties fictives ? Pour sa part, le Cameroun persiste dans la solution forte et dit s’atteler à la mise en œuvre des résolutions du grand dialogue national (GDN, tenu du 30 septembre au 4 octobre 2019 à Yaoundé). « Il poursuit ses efforts pour la reconstruction des zones affectées et l’assistance aux populations concernées (…). Il exhorte les pays amis à rechercher et à traduire en justice, ceux qui, à partir de l’étranger, financent et encouragent la violence dans notre pays. Il remercie les Etats Unis d’Amérique pour les actions ayant permis de traduire en justice les auteurs de tels actes et encourage les autres amis du Cameroun à faire de même ». Les séparatistes doivent déposer les armes et saisir l’offre de paix du Président de la République !

En fait, le Cameroun n’aime pas les bruits. Mais ce n’est plus l’époque où certains soutenaient qu’il n’y a pas un « problème anglophone ».  La militarisation du Noso, le plan de reconstruction lié et le GDN qui a débouché sur l’octroi d’un statut spécial à ces régions, n’ont pas suffi pour vaincre une crise qui gagne en complexité. Certaines mesures prises jusque-là relèvent de la cosmétique. Le « Public Independent Conciliator », « autorité indépendante (chargée) d’examiner et de régler à l’amiable les litiges opposant les usagers et l’administration régionale et communaledéfendre et protéger les droits et libertés dans le cadre des relations entre les citoyens et la Région ou les communes de la Région », reste assez inconnu de la population. Des voix, parmi les déplacés par la crise, jugent assez insuffisantes les mesures prises actuellement pour respecter leur « spécificité linguistique » et leur « héritage historique ». « Je ne vois pas encore les effets de la décentralisation et du statut spécial sur l’organisation et le fonctionnement de ces deux régions. Sur le plan scolaire, rien n’a changé et des magistrats francophones continuent de juger des gens qui ne parlent pas leur langue chez nous », regrette Christopher Nghe, rencontré à Bafoussam où il s’est réfugié. « Si les Canadiens peuvent nous aider, c’est bien mais la guerre ne finira pas tant qu’on n’a pas réglé les problèmes de fond, qui eux, ne datent pas de 2017 », rappelle-t-il.

Après six années de déni, suivi de répression et d’incitation avortée au retour des déplacés au bercail, les populations du Noso aspirent à un retour à la vie sociale normale. Mais dans un pays où l’on joue avec le temps, la proposition de médiation canadienne a été moquée, un peu comme ce fut le cas trois ans plutôt avec les Suisses.  

Franklin Kamtche


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