Ce 17 août 2022, deux jeunes filles sont assises sur la première rangée de bancs de la salle d’audience du tribunal militaire de Yaoundé. Ayuk Esther, 21 ans, et Martina Nandje, 22 ans, sont au milieu d’un groupe de détenus de la prison centrale de Kondengui qui comparaissent ce jour devant cette juridiction. Le regard des curieux est attiré par ces deux jeunes filles accusées de non dénonciation et de blanchiment d’actes de terrorisme. Leur calvaire à la prison centrale de Kondengui dure depuis octobre 2020 lorsqu’elles ont été interpellées dans une localité du Sud-Ouest puis transférées au Service central des recherches judiciaires du secrétariat d’Etat à la défense à Yaoundé. Après plus de deux mois de garde à vue dans les locaux de la gendarmerie, elles ont été transférées à la prison centrale principale où elles sont actuellement coupées de tout contact avec leurs proches. N’ayant pas de moyens financiers, les deux détenues bénéficient de la générosité d’un avocat qui les défend à titre bénévole. En dehors de ce cas, il y a deux autres femmes actuellement incarcérées à Yaoundé. Elles sont membres d’une même famille et ont été interpellées dans le Sud-Ouest en février dernier. Elles sont soupçonnées être proches d’un général séparatiste de la région du Nord-Ouest. Après leur interpellation, elles ont passé plus d’un mois dans les locaux de la gendarmerie à Yaoundé sans avoir la possibilité de rencontrer leur avocat. Il a fallu attendre plus de six semaines pour que Me Amungwa soit autorisé à rencontrer ses deux clientes toujours en détention. L’on se rappelle qu’il y a quelques mois dans le Sud-Ouest, une jeune femme enceinte connue comme étant l’ancienne petite amie d’un général « ambazonien » avait été arrêtée et jetée en prison. L’avocat dénonce les lenteurs judiciaires dans le jugement des procès impliquant les femmes et interpelle les autorités judiciaires sur la nécessité de respecter des engagements nationaux et internationaux en ce qui concerne les délais de jugement.
Atteinte à la dignité de la femme
Il dénonce encore la violation de l’article 9 du pacte international relatif aux droits civils et politiques qui stipule que : « Tout individu arrêté ou détenu du chef d’une infraction pénale sera traduit dans le plus court délai devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires, et devra être jugé dans un délai raisonnable ou libéré ». En plus du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, l’on peut également évoquer l’article 18 de La Charte africaine des droits et de l’homme et des peuples qui précise : « L’Etat a le devoir de veiller à l’élimination de toute discrimination contre la femme et assurer la protection des droits de la femme et de l’enfant tels que stipulés dans les conventions internationales ». L’Ong Nouveaux droits de l’homme a publié en 2019 un rapport d’étude sur l’accès à la justice pénale au Cameroun avec attention particulière pour les femmes privées de liberté. Le rapport de cette Ong mentionne une absence de statistiques notamment en ce qui concerne les détenues de la crise anglophone. Cette absence s’explique par le fait que les responsables d’Ong n’ont pas la possibilité d’enquêter sur les conditions des femmes détenues dans les zones en crise.
Le rapport publié en 2019 précise qu’il convient de rappeler que conformément à la tendance générale, la majorité des femmes, notamment celles détenues dans le cadre de la crise anglophone privées de liberté, sont en détention provisoire. Ces femmes sont confrontées à différentes sortes de difficultés. Elles font face aux difficultés globales que rencontrent toutes les personnes privées de liberté, auxquelles il faut ajouter des difficultés spécifiques liées à la condition féminine. Cyrille Rolande Bechon, directrice exécutive de l’Ong Nouveaux droits de l’homme au Cameroun, relève que ces difficultés sont entre autres: les pesanteurs liées à la mauvaise administration de la justice, la corruption, les abus de pouvoir, les détentions illégales et abusives, les peines et traitements cruels et dégradants, la cherté des actes et procédures judiciaires et l’accès très difficile à l’assistance judiciaire. Concernant leur condition de femme, les femmes privées de liberté laissent souvent derrière elles des enfants en bas âge dans des situations extrêmement précaires. De plus, les locaux et unités de garde à vue ne donnent pas un cadre minimal pour les besoins physiologiques des femmes détenues. L’Ong Nouveaux droits de l’homme et plusieurs associations de défense des droits de l’homme mène depuis 2014 un plaidoyer qui vise à interpeller les décideurs sur les conséquences de la loi antiterroriste votée en décembre 2014 au parlement et promulguée par le président de la République. Ces Ong travaillent pour une mobilisation des parlementaires et des acteurs de la société civile en vue de modifier cette loi antiterroriste pour qu’elle soit conforme à la Constitution camerounaise, mais également aux traités et normes internationales relatives à la défense et à la promotion des droits humains. L’Ong Nouveaux droits de l’homme dénonce le jugement des civils notamment des femmes devant un tribunal militaire.