Crise anglophone : polémique autour de l’extradition de Lucas Ayaba Cho

Lucas Ayaba Cho

Certains le voient déjà en train de broyer son pain noir à Kondengui. L’un des leaders sécessionnistes les plus radicaux, arrêté mercredi à Oslo en Norvège, n’est pourtant pas prêt de connaître le même sort qu’Ayuk Tabe Sisuku, à cause du respect des droits de l’homme.

Nous avons appris, à travers la radio nationale, que Lucas Ayaba Cho, l’un des leaders réputés et redoutés de la république virtuelle d’Ambazonie, a été arrêté à Oslo, en Norvège. « Cette arrestation est un bon point de la coopération judiciaire entre le Cameroun et la Norvège », a commenté le média d’État. La veille, l’intéressé avait lui-même à travers les réseaux sociaux annoncé à ses frères « Ambalanders » son arrestation par la police. « Restez forts et concentrés. Notre combat pour la libération est une juste et noble cause. Mon avocat va être briefé sur ma situation », rassurait-il. L’emballement médiatique a aussitôt suivi, des journaux proches du pouvoir allant jusqu’à programmer son extradition très prochaine. « Arrêté par la police norvégienne, le leader ‘’ambazonien’’ est en train d’être extradé au Cameroun dans les prochaines heures. Il sera traduit en justice pour des faits de terrorisme en lien avec la crise anglophone dans les deux régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest. Ceci en attendant que les démarches officielles entreprises entre les autorités des deux pays, actuellement en cours, aboutissent », informe La Nouvelle, entre autres.

Activateur bruyant et radical de la lutte armée pour réclamer l’indépendance du « Southern Cameroons », la partie méridionale du Cameroun, Ayaba Cho aujourd’hui âgé de 52 ans, est originaire de la région du Nord-Ouest. Jadis étudiant à l’Université de Buea, on rappelle qu’en 1993, il avait été expulsé pour avoir organisé une manifestation contre l’augmentation des frais de scolarité. Il s’envole pour l’Occident et pose ses valises en Norvège, où il vient d’être interpellé par la police, après une intense activité de mobilisation pour l’indépendance de l’Ambazonie, notamment aux Etats-Unis. Il est cependant risqué de supputer sur les démarches diplomatiques du Cameroun, en faveur de cette arrestation, malgré la jubilation officielle.

Ruines

La lutte armée déclenchée en 2017, après la radicalisation du gouvernement face aux revendications des avocats et des enseignants, a complètement déstabilisé le système scolaire et sanitaire de ces régions, puis causé la mort de milliers de personnes et engendré des milliers de déplacés. Lucas Ayaba Cho et les siens ont souvent revendiqué des attentats, comme celui d’Ekondo-Titi en 2022, perpétrés par les Adf (Ambazonian defence forces). Lesquels s’en prennent aux éléments de l’armée, enlèvent des civils et tuent des fonctionnaires, dans la plus grande peur. Des actes graves dont il est légitime qu’il en réponde. Mais il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué, dit l’adage. « La Norvège, encore moins quelque pays civilisé que ce soit de par le monde, n’extradera aucun leader de la crise anglophone vers le Cameroun sans violer effrontément les textes internationaux », prévient un avocat féru du droit international.

Explications : « Deux raisons seront utilement avancées pour justifier un tel refus. D’une part, en supposant qu’il ait commis des infractions au Cameroun ou contre les intérêts du Cameroun, elles seraient de nature politique. Selon la plupart des conventions internationales, personne ne peut être extradé si l’infraction qui lui est reprochée est de nature objectivement ou subjectivement politique. D’autre part, le Cameroun n’a pas une bonne réputation sur le respect des droits de l’homme et l’abolition de la torture sous toutes ses formes. Aucun Etat moderne ne peut extrader un civil vers un pays où on est certain qu’il sera traduit devant un tribunal militaire, une cour martiale ou aura droit à la torture et à un jugement inique. Au Cameroun c’est sûr que c’est au tribunal militaire qu’il sera traduit après avoir été torturé ».

Droit international

Son cas pourrait donc être bien différent de celui de Sisuku Ayuk Tabe, arrêté au Nigeria en 2017 avec des partisans puis rapatriés dans des conditions épiques, qui séjournent depuis lors à la célèbre prison de Kondengui. « Là-bas, dès qu’une juridiction donne un avis défavorable sur une demande d’extraction active, le pouvoir politique est bloqué et ne peut passer outre. Le Cameroun sachant cela, ne s’accommode pas des procédures chicaneuses d’extraction lorsque le présumé coupable se trouve sur le territoire d’un Etat aussi sauvage que le nôtre. On s’arrange entre barbares dictateurs, on kidnappe les personnes en catimini et on les amène au Cameroun, sans que les autorités judiciaires soient informées. Cas de Tabe et ses copains, cas Ramon Cotta », conclut un professeur de droit. Lucas Ayaba Cho sait donc qu’il est dans un pays civilisé où le droit peut être dit. Sans doute pourquoi il semble si serein lorsqu’il annonce son arrestation. S’agissant de l’extradition elle-même, les choses ne sauraient être aussi rapides que les supputations de notre presse. « L’extraction a deux phases : une juridique et une politique. Cela veut dire que le politique saisi d’une demande d’extraction, demande l’avis obligatoire des autorités judiciaires. Si l’avis est négatif, tout est bloqué. Si l’avis est positif, cela laisse la possibilité au politique d’extrader ou pas. En Europe, le contentieux judiciaire de l’extradition judiciaire peut aller jusqu’à la cour européenne des droits de l’homme! », poursuit notre avocat.

En tout cas, il a suffi qu’il déclare : « si vous m’extradiez, ils vont me tuer », pour que son cas commence à intéresser les défenseurs des droits humains. Sur le terrain, la paix ne règne toujours pas. Et le gouvernement a snobé plusieurs offres de médiation sur le conflit, notamment celles de la Suisse et du Canada. L’avocat d’un groupe de victimes, Me Emmanuel Nsahlaï, a déposé une plainte aux Usa contre Ayaba Cho et l’Etat norvégien qui l’héberge. Selon certaines sources, la police criminelle norvégienne reproche au leader sécessionniste, déclaré ennemi public ici, « l’incitation à des crimes contre l’humanité au Cameroun ». Une infraction pour laquelle il encourt 30 ans de prison.  

Franklin Kamtche


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