Une synergie multisectorielle impliquant notamment tous les ministères dans le cadre de la riposte contre la maladie vient d’être adopté. Ce document intègre plusieurs activités que doivent mener les ministères pour lutter contre la maladie.
Selon le Pr. Louis Richard Ndjock, Secrétaire Général du ministère de la Santé Publique, le Cameroun est le 11ème pays le plus touché par le paludisme dans le monde. Les statistiques les plus récentes montrent que chaque année, notre pays enregistre environ 6 millions de cas et 4000 décès. Le paludisme représente environ 50% des causes d’hospitalisation. Les enfants de moins de cinq ans paient le plus lourd tribut avec 60 % des décès et les femmes enceintes constituent l’un des groupes les plus vulnérables. Le paludisme tient à lui tout seul 10% du taux de mortalité de toutes les causes confondues. Force est de constater que le paludisme reste une préoccupation majeure de santé publique au Cameroun. Dans les établissements scolaires et en milieu professionnel, le paludisme est la première cause d’absentéisme. La lutte dans les pays les plus touchés doit être multisectorielle. C’est ce qui justifie la mise en place d’un cadre multisectoriel. Au regard de ce constat, le ministère de la Santé publique avec l’appui des partenaires a entrepris des plaidoyers divers pour obtenir les engagements de toutes les parties dans la lutte contre le paludisme pour la période 2024-2028. Le cadre multisectoriel donne désormais la possibilité à chaque administration publique de mener des activités en lien avec la lutte contre le paludisme. Ce cadre multisectoriel vise à renforcer la mise en place d’un dispositif institutionnel pour l’élimination du paludisme, d’accroître la mobilisation des ressources financières internes pour la lutte contre le paludisme.
Dr Hamidou Yacoubou est cadre à la Division de la coopération au ministère de la Santé publique. Cet expert des questions de la santé explique : « Le cadre multisectoriel de lutte contre le paludisme 2024-2028 est un document de stratégie qui permet de lutter plus efficacement contre la pandémie en s’appuyant sur une synergie des différents acteurs. Parmi ces acteurs, il y a les parlementaires, le ministère de la Santé publique, les ministères sectoriels, les partenaires financiers et techniques, les collectivités territoriales décentralisées, les Ong, les organisations à base communautaire, et la société civile. Dans ce cadre, il est prévu que chacune des parties prenantes puisse intervenir pour arriver à bout du paludisme d’ici quelques années », explique le Dr Hamidou Yacoubou.
Un panier d’activités
Concernant les activités à mener dans le cadre de cette multi-sectorialité, le Dr. Hamidou Yacoubou insiste sur la nécessité d’impliquer tous les secteurs d’activités. Ceci est justifié par le fait que le paludisme est une maladie à plusieurs déterminants. Parmi ces déterminants, il y a les facteurs environnementaux, le mode de vie, Il y a également les facteurs biologiques qui sont liés à l’individu et à l’anophèle, responsable de la transmission de la maladie :« Ces facteurs sont vastes que le ministère de la Santé publique ne peut pas lutter efficacement contre le paludisme. Le ministère du Tourisme et des Loisirs est responsable de la gestion des hôtels dans notre pays. Nous savons que des étrangers comme des populations camerounaises sollicitent beaucoup les hôtels. Le ministère de la Santé Publique ne peut intervenir au niveau de la gestion des hôtels à travers la distribution des moustiquaires imprégnées ou de mener une activité intense de lutte contre le paludisme. Cela est du ressort du ministère du Tourisme et des Loisirs. Il faut juste que le ministère du Tourisme soit sensibilisé sur son rôle à jouer dans le cadre de la lutte contre le paludisme pour qu’il puisse efficacement s’engager pour que les personnes qui dorment dans les hôtels aient des moustiquaires imprégnées pour se protéger contre le paludisme », ajoute le cadre à la Division de la Coopération au ministère de la Santé publique.
Même si le Cameroun reste le premier pays en Afrique francophone à se doter d’un cadre multisectoriel pour lutter contre le paludisme, il reste à noter que les pays à l’instar de la Tanzanie disposent d’un cadre multisectoriel pour lutter contre le paludisme. La République Démocratique du Congo est sur la voie de s’inspirer de l’expérience camerounaise pour éliminer le paludisme.
37,5% des populations pauvres au Cameroun
Selon les responsables du ministère de la Santé publique, l’importance pour le Cameroun de s’approprier de ce cadre n’est plus à démontrer ; « Le premier aspect concerne le volet santé publique. Le paludisme reste le premier problème de santé publique que nous avons dans notre pays, que ce soit en termes de morbidité c’est-à-dire le nombre de personnes qui tombent malades, ou en termes mortalité dans notre pays. Le deuxième point concerne les aspects économiques. Les gens négligent énormément le paludisme parce qu’on peut faire dans la vie 30 ou 40 crises de paludisme et recouvrer la santé, mais les moyens financiers mis pour recouvrer la guérison sont énormes et appauvrissent de plus en plus les populations », explique un responsable au ministère de la santé publique.. Au Cameroun, nous sommes à 37,5% des populations pauvres au Cameroun, c’est-à-dire les personnes qui vivent avec moins de 18000FCfa par mois. Dans cette tranche de population, si on a une personne qui tombe malade et qui fait peut être deux crises de paludisme par mois et dont le traitement pour les deux crises a couté en moyenne 35000Fcfa, l’écart de pauvreté qui va s’installer je ne pense pas qu’il sera rattrapé. Le paludisme n’est pas une blague, tout le monde doit désormais s’impliquer pour lutter efficacement contre cette maladie. Les populations doivent utiliser les moustiquaires imprégnées et faire l’effort d’assainir leur cadre de vie. Toutes les populations camerounaises sont à risque de faire le paludisme.
Placide Ntiga, chef de service de la Promotion de la famille au ministère de la Promotion de la femme et de la famille, reconnait que le ministère de la Santé, à lui seul n’est plus capable de lutter contre le paludisme. Dans le cadre de cette multi-sectorialité, le Minproff qui s’occupe de la politique gouvernementale en matière de promotion de la femme et de la famille entend mener des actions centrées sur la promotion de la santé, notamment en milieu familial à travers la promotion des pratiques familiales essentielles.
INTERVIEW
Olivia Ngou : « C’est important de prévenir la maladie que de la guérir »
La directrice exécutive de l’Ong Impact Santé Afrique (ISA), présente les innovations du cadre multisectoriel de lutte contre le paludisme 2024-2028.
Quels sont les axes prioritaires de l’engagement d’Impact Santé Afrique dans l’implémentation du cadre multisectoriel de lutte contre le paludisme ?
Impact Santé Afrique (ISA), est une organisation non gouvernementale et notre première priorité est de sensibiliser le plus grand nombre de ministères sur l’importance de leur rôle dans la lutte contre le paludisme. Il s’agit pour nous de prendre ce document qui vient d’être validé au Cameroun, le vulgariser, le diffuser. Il est aussi question de s’assurer que les ministères sont au courant et s’imprègnent de ce document qui précise avec clarté, le rôle clé que chaque ministère doit jouer dans la lutte contre le paludisme. Il est aussi question pour nous de passer le message selon lequel le ministère de la Santé Publique, lui seul ne pourra pas travailler pour l’élimination totale du paludisme au Cameroun. Les autres ministères ont le devoir de s’impliquer parce que le paludisme est une question environnementale, socio-économique. Il est très important que ces ministères soient impliqués et jouent leur rôle pour amener le Cameroun dans sa vision d’aller vers l’élimination de cette maladie.
Quels sont les ministères clés dans le cadre de l’implémentation de ce cadre multisectoriel ?
Nous avons par exemple le ministère de la Santé publique qui intervient sur les questions liées à la santé. Nous avons les ministères de l’Education de Base et le ministère des Enseignements secondaires. Il faudrait qu’on s’assure que les élèves sont éduqués et sont formés sur la lutte contre le paludisme ainsi que la prévention. Parce qu’il est mieux de prévenir la maladie que de la guérir. On se dit que si on commence avec l’éducation très tôt dans les écoles maternelles, primaires et secondaires, on aura une génération qui va grandir avec les comportements sains, qui permettront de réduire la maladie. L’éducation est très importante et on aimerait travailler avec le ministère de l’Education pour qu’il y ait un curriculum paludisme dans les écoles. Aussi pour qu’il y ait des actions de lutte contre le paludisme dans les établissements scolaires. Il y a aussi le ministère de l’Environnement, évidemment parce qu’avec les changements climatiques avec les sites où les anophèles femelles se multiplient, il est important de travailler avec ce ministère même le ministère de l’Habitat et du Développement urbain pour être sûr que des actions fortes soient mises en place pour réduire la propagation de ces moustiques. Ces ministères sont essentiellement dans la prévention de cette maladie et dans l’élimination.
Nous avons aussi le ministère de l’Agriculture parce que les nouvelles recherches ont montré que les différents insecticides qui sont utilisés peuvent avoir un effet négatif sur les moustiquaires imprégnées qui sont distribuées aux populations. Il serait important de dialoguer avec ce ministère sur les types d’insecticides qui ont un impact négatif sur la maladie et s’assurer que le Cameroun puisse interdire l’utilisation de ce type d’insecticide.
Le ministère du Tourisme est très important parce que dans plusieurs pays en Afrique aujourd’hui lorsque vous allez dans les hôtels de ces pays-là vous trouvez toujours les moustiquaires par contre ce n’est pas le cas au Cameroun. Comment travaillez avec le ministère du Tourisme pour s’assurer qu’au moins dans les zones à risque, à l’instar des villes comme Douala, Kribi ou dans le Grand -Nord, qu’on puisse se rassurer que les hôtels soient dotés d’un dispositif de lutte contre le paludisme avec l’installation des moustiquaires imprégnées, la pulvérisation de leurs lieux. Les hôtels doivent avoir ce dispositif, parce que ce n’est pas une bonne chose pour notre pays lorsqu’on apprend qu’il y a un touriste qui est arrivé dans le pays et qu’il a attrapé le paludisme dans ce pays. Nous avons beaucoup de cas des voyageurs qui attrapent le paludisme dans notre pays qui repartent dans leurs pays étant malades. Il est question de se rassurer qu’au niveau des aéroports et des sites de visas qu’il y ait des informations sur la prévention du paludisme encourager les touristes à dormir sur les moustiquaires imprégnées et à prendre leurs médicaments préventifs pendant la durée de leur séjour.
A cette date quelles sont les activités menées dans le cadre de la mise en place de cet outil ?
Pour l’instant, les ministères ont travaillé sous le leadership du ministère de la santé publique et du Programme National de lutte contre le paludisme à élaborer ce cadre multisectoriel, à organiser une séance de validation avec les secrétaires généraux des ministères qui ont été impliqués et à ce stade il y a un plan de développement des actions opérationnelles. Nous avons maintenant un cadre stratégique qui donne les orientations sur ce que peut faire chaque ministère. A ce stade le ministère de la Santé publique, sous le leadership de la Division de la coopération, les ministères vont travailler sur un plan opérationnel sur les actions à mener pour l’année 2025. Après cela on espère avoir une dynamique où il y aura un Comité multisectoriel qui pourra siéger au niveau du premier ministère ou au ministère de la Santé publique
En tant qu’organisation de la société civile quelles sont vos attentes pour la matérialisation de ce cadre ?
Nous voulons que chaque ministère puisse s’approprier du cadre, que chaque ministère désigne un point de lutte contre le paludisme au sein du ministère qui va suivre le plan de lutte contre le paludisme du ministère. Ce point focal va rendre compte à sa hiérarchie de l’évolution des activités de lutte contre le paludisme et ensuite une coordination nationale pour s’assurer qu’on avance vers l’élimination totale du paludisme. Notre rôle comme organisation de la société civile c’est d’apporter un appui technique au ministère de la Santé publique pour justement conduire ce processus. Nous sommes là pour travailler avec le ministère de la Santé publique et les accompagner pour qu’ils puissent diriger ce processus et documenter leurs actions et leurs résultats. Impact Santé Afrique fait partie d’un Groupe de travail, des partenaires techniques au niveau Mondial et nous sommes en train d’élaborer avec ces partenaires un guide opérationnel pour les pays sur la multi -sectorialité et nous comptons amener cette expertise au niveau du Cameroun. Le Cameroun est l’un des premiers pays à avoir ce cadre multisectoriel de lutte contre le paludisme. Le premier pays francophone après la Tanzanie.
REACTIONS
Réactions en colonne
Que comptez –vous faire dans votre domaine respectif pour implémenter le cadre multisectoriel de lutte contre le paludisme ?
« Nous faisons le plaidoyer »
Peter Njume, député et président Caucus parlementaire
Le parlement a son rôle qui consiste à voter les lois et contrôler l’action du gouvernement. En tant que parlementaire et membre du Caucus, j’ai fait des propositions au premier ministre chef du gouvernement au niveau de l’Assemblée nous députés allons procéder aux séances de questions orales au chef du gouvernement ou au ministre de la Santé publique. Notre travail consiste à voir si les ministères concernés ont ajouté 1% de leur budget pour la lutte contre le paludisme et si cela n’est pas fait les parlementaires vont interpeller les ministres en question. Si les ministères consacrent les 1% de leur budget pour la lutte contre le paludisme nous allons veiller à pour vérifier si cet argent a été utilisé pour lutter contre le paludisme. Nous sommes là pour le plaidoyer et nous sommes aussi là pour voir exactement si les ressources allouées au paludisme sont bien gérées.
« La prévalence reste élevée »
Dr Jean Fosso, secrétaire permanent adjoint du PNLP
Selon une enquête menée par l’Institut National de la statistique en 2022, la prévalence du paludisme est de 26% au Cameroun, ce qui reste très élevé par rapport à l’objectif de l’élimination du paludisme où cette prévalence devrait être de moins de 1%. La mortalité connaît une baisse importante parce que le Cameroun a pu réduire d’environ 60% de 2019 à 2023, le taux de mortalité qui est passé de près de 18% à 6,3 % pendant cette période. Mais ce chiffre de 6,3% reste élevé par rapport à la situation de zéro décès lié au paludisme. La réponse du gouvernement pour faire face à cette situation est contenue dans le plan stratégique national de lutte contre le paludisme 2024-2028. Ce plan est structuré autour de quatre piliers, un pilier sur l’engagement politique au niveau national et communautaire pour mobiliser les financements et les autres ressources nécessaires, l’utilisation stratégique des informations pour prendre les décisions pour mener les actions programmatiques et le choix des meilleures directives politiques, et puis la coordination de la réponse. Pour l’implémentation de ces quatre piliers, le ministère de la Santé publique, seul, ne peut pas assurer cette mobilisation. On n’a besoin de la contribution de tous les autres acteurs de la société pour lutter efficacement contre le paludisme. Nous remercions notamment nos partenaires qui nous ont permis de développer la première version de ce cadre multisectoriel qui permet de donner de la visibilité et de savoir l’approche qu’on devrait utiliser pour impliquer l’ensemble des acteurs clés de la lutte.
« Un plan climat élaboré »
Paul Tchawa, Sg du Minepded
Je tiens à remercier le ministère de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire ainsi que le ministère des Finances pour avoir facilité l’élaboration en mai 2024 d’un texte qui vise à coordonner l’agenda climatique au Cameroun. Dans ce texte qui fait environ 13 pages, tous les sectoriels impliqués ont été cités. Dans cette dynamique, un pan climat a été élaboré. L’une des déclinaisons du ministère de l’Environnement, de la Protection de la nature et du développement durable visera cette problématique. Je peux également citer notre sous-direction de la sensibilisation et de l’éducation environnementale qui a un bon réseau dans les établissements secondaires à l’instar des clubs amis de la nature, des clubs de l’environnement qui seront mobilisés dans le cadre la lutte contre le paludisme. La complexité du défi de la lutte contre le paludisme nécessite forcément une lutte multisectorielle pour y arriver. On a vu que ce cadre multisectoriel prend en compte une dimension sociale, une dimension financière, environnementale et la dimension recherche. Toutes ces dimensions vont contribuer à l’intensification de la lutte contre le paludisme.