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Livre : les 24 tendances géopolitiques de l’Afrique en 2024

Ok livre

Dans son dernier ouvrage, Maurice Simo Djom fait bien plus qu’une chronique des faits d’actualité. Il leur donne un sens, mettant en lumière les forces et les faiblesses du continent, et surtout les défis que les Africains doivent relever pour affirmer leur émancipation dans le monde.

Il ne suffit pas d’être Africain pour tenir un discours authentique sur l’Afrique. L’impertinence en est la caractéristique première. La profondeur d’analyse apporte l’intelligence nécessaire pour heurter certes, mais convaincre au final. Etre Africain en fin de compte apporte la cerise sur le gâteau. Maurice Simo Djom revendique cette posture dans son dernier ouvrage intitulé « L’état de l’Afrique 2024 ». Son propos est résolument panafricaniste. Il sort des sentiers battus et évite les convenances.

C’est le regard d’un Africain de l’intérieur qui, à partir du Cameroun où il vit, scrute les faits d’actualité sur le continent. L’analyse qui s’ensuit révèle 24 tendances qui sont autant de d’enseignements à tirer des évènements survenus sur le continent en 2023. Ces tendances permet à l’auteur de ressortir sept dimensions de l’Afrique : 1- la révolution en cours dans le Sahel, 2- les conflictualités et les rivalités sur le continent, 3- l’empreinte africaine sur le monde, 4- l’intégration africaine, 5- le travail de mémoires, la quête des identités et l’affirmation des imaginaires, 6- les élections et la démocratie en Afrique, 7- l’économie et la finance sur le continent.

L’ouvrage est donc organisé autour de tendances et de dynamiques. C’est le fruit d’une démarche inductive qui part de la réalité pour en tirer des catégories d’analyse. L’exercice a donc consisté en ceci : « observer, rassembler, classer, comparer le matériau de terrain et tirer des conclusions. » L’auteur s’est refusé d’appliquer au réel des grilles préétablies et des théories toutes faites, se mettant ainsi à l’abri du reproche souvent fait à certains travaux sur l’Afrique critiqués pour les stéréotypes qu’ils charrient.

Dans sa préface, le professeur de relations internationales Jean Emmanuel Pondi parle de L’état de l’Afrique 2024 comme d’un « ouvrage monumentale » qui vient combler un vide. Il s’agit d’un ouvrage de géopolitique qui épouse la réalité du terrain, la scrute pour en tirer du sens. Quand les coups d’Etat militaires sont applaudis dans les rues au Sahel ou que des banques européennes quittent le marché africain, il y a matière à réflexion et à analyse. Au lendemain du putsch perpétré au Niger le 26 juillet 2023, la guerre annoncée par la France et la Cedeao contre les militaires au pouvoir n’a pas eu lieu. La montée de fièvre est bien le signe que le Niger a une importance particulière que les officiels français refusent d’avouer. D’une part, le changement de pouvoir à Niamey marque le putsch de trop que la France n’a pas vu venir, après les coups de force en Guinée, au Mali et au Burkina Faso. D’autre part, le Niger, 7ème producteur mondial d’uranium, est depuis plus de 60 ans une vache à lait pour l’ex-puissance coloniale qui achète ce minerai à un prix insignifiant comparé aux cours mondiaux. En 2023, la France ne peut donc se permettre de perdre cette juteuse source d’énergie dans un contexte d’incertitudes créées par la guerre russo-ukrainienne.

Révolution au Sahel

Pourtant la France a perdu la bataille, même avec comme alliée la Cedeao, l’organisation regroupant les Etats de l’Afrique de l’Ouest. C’est le signe de l’adversité aujourd’hui rencontrée sur le continent africain par la Francafrique, ce système de prédation instauré pour remplacer la colonisation. Le bras de fer engagé par les régimes militaires du Niger, du Burkina Faso et du Mali traduit la réalité du vent d’émancipation que Simo Djom décrypte avec précision. Pour lui, la révolution est en marche dans le Sahel. La création de l’Alliance des Etats du Sahel est le symbole d’une solidarité africaine agissante qui sait défendre les intérêts du continent et sait construire des alliances solides comme celle avec la Russie. La victoire de Kidal au Mali en 2023 a été un déclic : la prise de conscience qu’il est possible de vaincre les djihadistes sans les troupes occidentales et onusiennes.

Mais la page ne sera pas facilement tournée. L’analyse invite à l’éveil permanent et met en garde contre les malices du paternalisme français et occidental en général dont les nouveaux ambassadeurs sont des leaders d’opinion africains. L’intellectuel camerounais Achille Mbembe et le président nigérien déchu, Mohamed Bazoum, sont présentés comme les chantres de ce neo-paternalisme. Ils caricaturent le nationalisme, le panafricanisme et le souverainisme qui animent la jeunesse ainsi qu’une frange d’intellectuels et de leaders politiques sur le continent aujourd’hui.

L’émancipation des Africains est aussi en jeu dans la dynamique des guerres et conflits en cours sur le continent. En effet ces conflictualités sont le terrain de jeu et d’affrontement des puissances mondiales, notamment les puissances occidentales qui craignent aujourd’hui l’installation de la Russie. Les logiques concurrentes dans la gestion des crises et des conflits finissent par annihiler le rôle des missions internationales de paix, notamment celle de l’Onu. C’est dans une tentative de reprise en main que le gouvernement de Rd Congo a demandé le départ de la Monusco et des forces de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Est.

 

Solidarité africaine et rivalités internes

 

Les rivalités internes au continent structurent aussi la géopolitique des Etats africains. La crise à l’est de la Rd Congo n’échappe pas au jeu des acteurs sous-régionaux comme le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi. La configuration montre que même entre acteurs continentaux, les intérêts peuvent être divergents. C’est notamment le cas avec la construction par l’Ethiopie du barrage hydroélectrique de la Renaissance. Le projet nourrit les tensions avec l’Egypte, et potentiellement le Soudan, deux pays également situés sur les bords du fleuve Nil. Dans le dossier du Sahara Occidental, deux visions et des intérêts s’affrontent : le souverainisme de l’Etat marocain et l’idéologie de la libération prônée par l’Algérie qui, dans son soutien aux indépendantistes du front Polisario, mise sur l’accès à l’Océan Atlantique.

Ces rivalités mettent naturellement à l’épreuve la solidarité africaine. La reconnaissance de la marocanité du Sahara Occident est devenue l’axiome diplomatique du royaume chérifien. Cet axiome conditionne toutes les transactions et explique de curieuses prises de position ; comme le sacrifice de la cause palestinienne qui est une cause arabe. L’Afrique doit trouver un modèle adapté de résolution de ses conflits et rivalités internes dans un contexte où l’Onu est affaiblie, voire délégitimée, à cause des égoïsmes des grandes puissances. Depuis longtemps, les Africains ont tendance à affronter l’hostilité internationale dans leurs propres affaires.

Dans la gouvernance mondiale, l’Afrique ne profite pas de son avantage démographique : le plus vaste marché avec 1,5 milliard d’habitants. Partout où elle est absente, les décisions sont prises contre ses intérêts ; comme au Conseil de sécurité de l’Onu. Des Etats en proie à la guerre, comme la Rd Congo et la République Centrafricaine se sont ainsi vus imposer des embargos sur les armes alors que des groupes rebelles renforçaient leur arsenal de guerre. Au plan économique, ce sont les autres qui tirent avantage de la loi géopolitique du nombre en Afrique où il manque encore un tissu industriel suffisamment fort et des infrastructures intégratives comme les voies de communication. L’Europe s’est aménagé en Afrique des partenariats économiques très lucratifs, ceci combiné aux règles du commerce mondial qui relègue le continent à un marché de consommation. Mais l’analyse reste optimiste car, la loi géopolitique du nombre reste un atout pour l’Afrique. Il lui suffit de définir les conditions de protection de son industrie locale. Lorsque ces insuffisances seront comblées, l’Europe ne pourra plus profiter de la loi géopolitique du nombre en Afrique.

 

Contre-vérités

 

Les Européens vivent déjà la hantise du déclin démographique au moment où la population tend à devenir l’atout majeur des Africains. D’où la propagation des contre-vérités qui présentent l’Afrique comme une menace. Maurice Simo Djom prévient : c’est la baisse de la fécondité dans l’Hémisphère Nord en général qui induira tôt ou tard sa marginalisation démographique et le péril de la civilisation occidentale. Quant à l’Afrique, elle ne menace pas d’envahir l’Europe qui, sans jamais se plaindre, avaient déjà accueilli 8 millions de réfugiés ukrainiens en 2023. Avant l’éclatement de la guerre russo-ukrainienne en 2022, l’Afrique ne représentait que 14% des migrants dans le monde, contre 41% pour l’Asie et 24% pour l’Europe.

Autre mensonge propagée sur l’Afrique : l’explosion démographique. Après plus de 400 ans d’agressions, l’Afrique ne fait que remonter la pente. Sa population est appelée à se stabiliser naturellement. D’ailleurs, le continent a déjà engagé sa transition démographique. En 1950, le taux moyen de fécondité sur le continent était de 6,5 enfants par femme ; aujourd’hui, il est de 4,7. Diaboliser la natalité sur le continent n’est que pure mauvaise foi, surtout chez les dirigeants européens qui prônent pourtant des politiques natalistes dans leurs pays. Par ailleurs, l’Afrique doit encore peupler ses 30 millions km2. En 2022, sa densité moyenne était de 47 habitants/km2, contre 107 habitants/km2 en Europe et 148 habitants/km2 en Asie.

L’Afrique étant le continent le plus riche au monde, il n’y aurait aucune difficulté à prendre en charge sa population si les richesses naturelles étaient exploitées pour atteindre cet objectif. A titre d’exemple, l’Afrique compte la majorité écrasante de l’eau et des terres arables dans le monde. Avec 400 millions d’habitants qui ont entre 25 et 35 ans, il y a la force de travail, ainsi que l’énergie et l’inventivité qui vont avec. En conclusion, la population africaine est un diamant, écrit Simo Djom. Les vrais problèmes sont ailleurs : la fonction de consommation dans laquelle cette population a été cantonnée. Le défi est d’entrer dans l’ère de la production industrielle. Il faudra aussi imaginer des savoir-faire authentiques et adaptées pour prendre en charge les crises et les conflits entre les communautés. Personne d’autre que les Africains n’a intérêt à le faire. Pour s’en convaincre, il suffit de décrypter le sort de Haïti, le premier Etat noir, et de la Libye, pour voir à l’œuvre ce que Simo Djom nomme le châtiment géopolitique radical infligé par l’Occident.

 

A qui appartient l’Egypte antique ?

 

Pourtant il ne faut guère se décourager dans la quête d’émancipation et de libération du joug de l’oppression. Des tendances lourdes sont observables. Au plan économique, ce n’est pas un hasard si les banques occidentales quittent le marché africain pour céder la place à des locaux plus intégrés au continent et offrant une ingénierie financière plus adaptée. Au niveau politique, il ne faut pas négliger l’arrivée de l’Union africaine au sein du G20, même si l’organisation panafricaine peine encore à assurer son indépendance financière, à imposer sa voix sur les crises en Afrique et à relever le défi de l’intégration continentale. Un autre signe des temps : l’entrée de l’Egypte et de l’Ethiopie au sein du groupe des Brics qui comptait déjà l’Afrique du Sud. Ces signes témoignent d’une présence plus marquée de l’Afrique dans la gouvernance mondiale. Il est préférable d’être assis à la table plutôt que d’être au menu, se réjouit Maurice Simo Djom.

Sur un tout autre terrain, se joue la bataille des représentations qui a été plus que jamais relancée en 2023, année du centenaire de la naissance de Cheikh Anta Diop et de la mort de son illustre discipline Nioussere Kalala Omotunde. On aurait pu croire de la fin de leur engagement à marteler au monde entier l’origine nègre de l’Egypte antique. Que non. Des continuateurs existent en Afrique et en dehors. Ces hommes et ces femmes sont dans la musique comme Maître Gim’s, ainsi que dans le cinéma comme la productrice afro-américaine Jada Pinket Smith et la réalisatrice iranienne Tina Gharavi. Ils et elles sont aussi des intellectuels ou des Subsahariens lamda qui ont tenu le débat sur Internet contre des ressortissants du Maghreb, du Proche-Orient et des suprématistes blancs. L’enjeu, prévient Maurice Simo Djom, c’est l’émancipation et le rétablissement du prestige historique de l’Afrique. L’affrontement sera rude face aux chercheurs et aux medias mis à contribution pour combattre l’afrocentrisme. Ce mot aussi dire panafricanisme. Ils structurent tous les deux le récit de l’Afrique offert en 2024 par Maucice Simo Djom.

La lecture de l’ouvrage crée un certain confort intellectuel tant l’écriture est simple et coule de source. Au fil des pages pourtant, le lecteur est sans cesse bousculé dans ses certitudes et dans sa manière de voir le monde. Des passions naissent. Il devient plus attentif aux faits d’actualité, et se risque même à faire la prospective comme l’auteur. Le lecteur devient alors impatient de voir l’évolution du monde. Vivement l’édition 2025 déjà annoncée.

 

 

 

Maurice Simo Djom

L’Etat de l’Afrique 2024

Editions Afredit

Avril 2024

303 pages

 

Necdem Assongmo

Author: Necdem Assongmo

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