Bafoussam : complexe Petou, ce qui coince

complexe Petou

Comment la construction d’un établissement scolaire dans une zone classée non constructible est devenue une « affaire ».

 

Le lieudit « Carrefour Congelcam » présente désormais un nouveau visage. Il y est sorti de terres en quelques mois le Complexe scolaire Petou. Un complexe qui ambitionne d’offrir des formations spécialisées aux apprenants des enseignements secondaires techniques. Des bâtiments avec une architecture particulière suscitent la curiosité des usagers de l’axe Bafoussam-Mbouda et ceux arrivés dans la ville de Bafoussam par l’aéroport de Bafoussam-Bamougoum.

Des ateliers déjà construits avec une vue sur l’axe routier interpellent plus d’un. À travers des grils, tout passant à pieds, à motos ou à voitures, peut voir des machines à coudre exposées dans l’atelier dédié à l’industrie d’habillement (Ih) : ingénierie en coupe et couture des habits et autres. Des ateliers de maçonnerie, de mécanique, de menuiserie et ébénisterie, d’électricité-électronique et de fabrication mécanique sont également visibles. Quatre entrées donnent à la nationale N°6.

À l’intérieur de ce complexe, un immeuble à plusieurs étages est en cours de construction. Un autre (R+3) devant servir de salles de classes est prêt à accueillir les apprenants. Du goudron, l’on aperçoit la partie arrière de la barrière. À perte de vue, cette barrière sécurise le site dédié à ce projet. Cet espace réservé il y a quelques mois à l’agriculture, s’est ainsi vu transformer en un complexe scolaire.

« Il faut reconnaitre qu’il s’agit d’une zone marécageuse. En principe, il ne devrait pas avoir un tel investissement en ce lieu », lance un sexagénaire dans un débit de boissons non loin de ce carrefour. Des lignes de haute tension surpassent ce complexe scolaire dont l’ouverture des portes ne devrait cependant pas avoir lieu de sitôt.

La raison : son promoteur ne dispose pas d’autorisation d’ouverture, faute de permis de construire. Nous l’apprenons à travers une violente lettre du chef supérieur Bamougoum, Sa Majesté Mitterand Moumbe Fotso, adressée le 18 juin dernier au maire de la ville de Bafoussam et largement relayée dans l’opinion.

Dans cette lettre, l’autorité traditionnelle accuse Roger Tafam, le maire de la ville, qui est également notable à la chefferie Bamougoum, d’entraver l’obtention par Norbert Petou, autre fils Bamougoum, d’un permis de construire. Il écrit notamment : « Vous voudrez bien noter qu’il n’a pas échappé au Roi Bamougoum qu’en date du 16 mars 2023 vous vous êtes réjoui de porter à l’attention du Ministre de l’Habitat et du Développement urbain que les constructions engagées par ce promoteur étaient sur un site non aedificandi, pourtant, le procès-verbal établi le 1er juin 2022 en prélude à ces constructions porte les signatures de plusieurs sectoriels dont le maire de la commune de Bafoussam troisième et le délégué départemental de l’Habitat et du Développement urbain de la Mifi »

 

Zone non constructible 

 

Le maire de la ville de Bafoussam a-t-il choisi délibérément de saborder le projet mené par Norbert Petou sur le site de Kena ? Le site est-il constructible comme semble le penser le chef ? Un certain nombre d’éléments indiquent plutôt le contraire.

Il y a d’abord une lettre de la Commission nationale anti-corruption (Conac) en date du 18 avril 2023. Celle-ci, adressée au maire de la ville de Bafoussam et au ministre de l’Habitat et du Développement urbain, a pour objet « Allégations de corruption ayant entraîné l’autorisation illégale de construction d’un bâtiment dans une zone non constructible à Bamougoum ». Ensuite, quelques jours plus tard, le 19 mai 2023, en réponse à la demande de permis de construire, le maire de l’arrondissement de Bafoussam 3e, Daniel Ndefonkou, écrit : « …) il ne m’a pas été possible de transmettre votre dossier pour la suite de la procédure à cause de certains manquements ».

Notre enquête nous a permis également de constater qu’en date du 11 mars 2022, le délégué départemental de l’Habitat et du Développement urbain de la Mifi a marqué un avis défavorable sur le certificat d’urbanisme sollicité par M. Norbert Petou. La raison indiquée est « Zone naturelle, les constructions de toute nature sont interdites ». La projection du Titre foncier de M. Petou dans le plan d’occupation des sols de Bafoussam 3e permet de constater qu’un jardin public et un plan d’eau y sont prévus.

La ville de Bafoussam dispose en effet d’un certain nombre de documents de planification qui indiquent les projets prévus, mais également les zones non constructibles. Il s’agit du Plan directeur d’urbanisme de la ville de Bafoussam adopté par délibération du conseil de la Communauté urbaine de Bafoussam le 20 décembre 2013 et approuvé par arrêté préfectoral le 07 octobre 2014, mais également du plan d’occupation des sols adopté par le conseil de la Communauté urbaine de Bafoussam le 27 novembre 2015 et approuvé par arrêté préfectoral le 21 mars 2016.

Des documents dont le promoteur de l’établissement, d’après nos sources aurait été informé. La proposition, apprend-t-on lui aurait d’ailleurs été faite d’aller vers les autorités municipales pour un aménagement concerté du site. S’il l’a à l’époque balayée, on semblerait désormais tendre vers là, d’après les informations issues de la réunion présidée le 24 juin dernier par le gouverneur de la région de l’Ouest.

Mais comment, malgré tout, en est-on arrivé à l’édification de l’établissement visible aujourd’hui à Kena ? D’après nos sources, le site a été vendu en 2020 à M. Petou par le chef supérieur Bamougoum. Une transaction qui tournerait autour de 120 à 200 millions de Fcfa. Ce qui pourrait expliquer l’embarras dans lequel se trouve le chef si le projet n’est pas mené à bout. Par la suite, le promoteur a pu obtenir par immatriculation directe le 14 janvier 2022 un titre foncier dans une zone non constructible.

 

Commission ad hoc

 

Sans permis de construire, il a ensuite entrepris la construction de son établissement scolaire, malgré une tentative de l’équipe spéciale de contrôle des constructions de la Communauté urbaine de Bafoussam d’arrêter les travaux et de saisir le matériel de construction. A ce moment-là, le dossier d’obtention du permis de construire n’avait pas encore été transmis à la Communauté urbaine, comme l’a indiqué la réponse du maire de la commune de Bafoussam 3e le 19 mai 2023.

Le chef indique pourtant dans sa lettre le procès-verbal d’une commission ad hoc de 2022 qui demandait au maire de la ville de délivrer une autorisation de bâtir au promoteur de l’institut Petou. De quoi s’agit-il ? Une commission ad hoc a bel et bien été présidée par le deuxième adjoint préfectoral de la Mifi le 1er juin 2022, sans aucun représentant de la Communauté urbaine de Bafoussam. Seulement, celle-ci était chargée d’examiner « le projet de déplacement des poteaux électriques pour la construction d’un établissement scolaire à Kena. Le procès-verbal de cette commission indique dans ses recommandations que « les travaux de construction engagés par Monsieur Petou à Kena peuvent continuer sans être conditionnés par le déplacement des poteaux électriques par Eneo, la distance réglementaire de l’emprise étant respectée pour lesdits travaux ».

Sauf que plus loin, dans le même document, la commission recommande au promoteur du projet de « déplacer les poteaux après accord des responsables d’Eneo en faisant passer les câbles électriques à 50m dans le sol, si nécessaire ». Rien de plus flagrant comme contradiction !

Autre curiosité du document, la signature du délégué départemental de l’Habitat et du Développement urbain de la Mifi. La seule à ne pas être accompagnée par un cachet. Pourquoi ? Mystère !

Enfin, la commission recommande au maire de la ville « de bien vouloir délivrer l’autorisation de bâtir à Monsieur Petou pour la suite de ces travaux conformément à la réglementation ». Question : l’établissement s’est-il entre-temps conformé à la réglementation ? en toute apparence, non.

Au regard de tous les documents consultés et de l’historique de l’affaire, on en vient à se demander pourquoi et comment le chef Bamougoum a choisi de voir derrière la non obtention du permis de construire la main de Roger Tafam. Certains observateurs n’hésitent pas à regarder du côté politique où des batailles sont déjà ouvertes en vue des prochaines échéances.Complex

Jules Romuald Nkonlak et Aurelien Kanouo

Jules Romuald Nkonlak

Author: Jules Romuald Nkonlak

Né le 29 janvier 1978 à Bafoussam, Jules Romuald Nkonlak est journaliste, diplômé de la 31e promotion de l’Ecole supérieure des sciences et techniques de l’information et de la communication (Esstic) en 2003. Il a commencé sa carrière au quotidien Mutations qu’il a quitté en 2007, l’année de la création du quotidien Le Jour. Rédacteur en chef adjoint au départ, il a été nommé rédacteur en chef en 2011.

Jules Romuald Nkonlak

Né le 29 janvier 1978 à Bafoussam, Jules Romuald Nkonlak est journaliste, diplômé de la 31e promotion de l’Ecole supérieure des sciences et techniques de l’information et de la communication (Esstic) en 2003. Il a commencé sa carrière au quotidien Mutations qu’il a quitté en 2007, l’année de la création du quotidien Le Jour. Rédacteur en chef adjoint au départ, il a été nommé rédacteur en chef en 2011.


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    Né le 29 janvier 1978 à Bafoussam, Jules Romuald Nkonlak est journaliste, diplômé de la 31e promotion de l’Ecole supérieure des sciences et techniques de l’information et de la communication (Esstic) en 2003. Il a commencé sa carrière au quotidien Mutations qu’il a quitté en 2007, l’année de la création du quotidien Le Jour. Rédacteur en chef adjoint au départ, il a été nommé rédacteur en chef en 2011.