Les hommes de Dieu ont produit « une mise au point catéchétique », en réponse à la « lettre ouverte des rois de l’Ouest à Mgr Paul Lontsie-Keune ».
L’on se doutait bien que l’Eglise catholique romaine, en tout cas celle qui est présente dans la région de l’Ouest, pourrait laisser passer sans broncher la grosse charge dégainée contre l’un de ses chefs charismatiques depuis quelques semaines. La prudence empruntée par de nombreux prélats avec qui nous avons échangé indiquait que la forme était à l’étude. Depuis ce 8 juillet 2024, l’Assemblée des clercs incardinés à Bafoussam (Acib) par la voix de son délégué, l’abbé Gustave Tanekou, a mis à la disposition du peuple de Dieu un riche document de 16 pages, qui explique la position des prêtres dans cette affaire. Contrairement au ton véhément sinon injurieux du premier document, celui-ci adopte une « démarche fraternelle et pédagogique ».
« Il n’y a pas et il n’y aura jamais de guerre entre l’Eglise catholique et les chefferies traditionnelles », souligne-t-il d’entrée. « Comme Africains, nous respectons les chefferies et les personnalités qui les incarnent légitimement. Nos chefs sont des symboles et des repères de notre culture, et nous entretenons avec eux des relations multiples, empreintes de fraternité, de coopération, de respect et de cordialité ». Et alors ? Ce n’est pas Mgr Paul Lontsie-Keune, 5ème évêque de Bafoussam, qui gâcherait ces relations qui datent : lui qui « a (déjà) rendu visite à plusieurs chefferies, entre autres Baleveng, Bati, Bazou, Batoufam, Baleng, Balatchi, etc. ». Un climat de respect et une relation de coopération règnent donc. Et des prélats contribuent d’ailleurs à rendre plus compréhensibles pour les fidèles catholiques des pans de la tradition bamiléké. « L’Eglise est l’une des principales promotrices de la culture dans notre société par les chants et l’écriture en nos langues », assène le plaidoyer.
La sagesse du Roi Salomon
Seulement, par devoir de mémoire, il relève des incidents survenus lors des célébrations dans les groupements Foto et Bafou, en novembre 2023 et avril 2024. « Voulant marquer sa présence, le chef (Bafou) envoie demander que la messe soit interrompue pour qu’il présente ses condoléances avant d’aller à d’autres enterrements ». Sans être chrétien, certains comportements rapportés sont vexatoires. Et c’est ce que l’Evêque de Bafoussam a voulu clarifier, en se rendant à Dschang et Bafou les 25 et 26 mai 2024. « Je voudrais dire ici que c’est le rôle de l’Evêque de défendre la foi catholique quand elle est menacée », avait-il déclaré. « Si on invite le prêtre pour célébrer la messe, on n’a pas une autre autorisation à demander à l’autorité traditionnelle. (…) Tous se comportent comme si nous étions clandestins », avait regretté Paul Lontsie-Keune. C’est sur cette base qu’il avait affirmé qu’ « on ne va plus lui (au chef) permettre comme ça de perturber les messes, parce que l’église catholique au Cameroun ne fonctionne pas en cachette ».
Sur le plan évangélique, soulignent l’Acib, « la sainte messe est l’acte cultuel et public le plus sacré et le plus précieux de l’église catholique dont la célébration ne peut être ni interrompue ni perturbée par la volonté d’un mortel ». Parce que la messe a donc un caractère inviolable et imperturbable, « la perturber, c’est attenter à la vie même de l’Eglise, c’est martyriser les chrétiens ». Puissant dans la riche littérature chrétienne, les prêtres du diocèse de Bafoussam récusent ainsi toute forme de théocratie, d’impérialisme et d’idolâtrie. « Le pouvoir n’est qu’humain, remis à sa place et désacralisé », plaident-ils. Ils puisent dans la riche onomastique des langues de cette région pour démontrer qu’un chef ne peut pas être un dieu.
Laïcité de l’Etat
Par ailleurs, ils s’étonnent que des chefs traditionnels, « auxiliaires de l’administration » (celui de Foto est en plus sous-préfet), prennent sur eux le risque de travestir les lois et la Constitution. Or « Nul n’a le droit de contraindre un autre citoyen à choisir ou abandonner sa religion, ni de lui imposer des choses qui sont contraires à ses convictions religieuses ». Tout comme ils n’ont rien à réclamer à une personne qui fait usage des ressources de sa culture pour louer Dieu. S’agissant donc des queues de cheval, du tissu ndop, des balafons, « il est tout simplement incongru pour un citoyen d’interdire à d’autres citoyens le droit de jouir des biens dont la production, l’acquisition et l’usage sont libres ». Pour finir, ils leur reprochent « d’ouvrir de nouveaux champs de tensions pour troubler et diviser les populations ».