
Dans son livre présenté il y a quelques jours à Yaoundé, Martin Ambara nous interpelle sur la nécessité de faire un retour sur soi pour connaitre qui nous sommes afin de mieux entrevoir l’avenir. Un texte initiatique d’une profondeur qui traverse le temps.
Le metteur en scène Martin Ambara vient de commettre un livre. ‘’Manoka Express’’, classé dans le genre théâtral, meuble désormais les étagères. C’est l’histoire de la rencontre entre une sirène et une petite fille vivant seule, abandonnée sur une île. Une rencontre loin d’être fortuite car la fillette était suivie de près par cette reine des eaux depuis belle lurette. Elle devait donc trouver les descendants de “Jômalé”, le mari de la sirène et père de ses enfants qui vit de l’autre côté du Mutangari. Une mission qui s’avérait difficile parce que la fillette, seule sur l’île, n’avait jamais entendu parler de “Jômalé”. En effet, ce nom ne lui était pas familier.
La fille se faisait appeler Ngon’a Moulèndè, par la sirène. « Parce que tu es la chaire de cette île, l’ultime espérance du Mutangari. » La fillette perdue avait un message à transmettre aux descendants de “Jômalé”. Elle devait leur dire : « Que les squelettes et les âmes de leurs morts souillent le sanctuaire au fond du Mutangari. Dis-leur qu’ils se doivent de purifier le fond des eaux avant que la colère des eaux d’en haut ne s’abatte sur eux », p33. C’est le début d’un long voyage pour la jeune fille à la découverte de qui elle est vraiment. ‘’Manoka Express’’ est un voyage dans l’histoire tumultueuse du Cameroun ; un retour pour redécouvrir une partie importante de l’histoire coloniale du pays. Une allégorie théâtrale qui met en scène un passé colonial taché de sang, d’humiliation, d’aliénation, d’égo, de brimades. Le livre repose sur 6 personnages. Frankenstein est la figure de l’Occident irresponsable qui n’assume pas ses actes. La pièce est conçue à la façon d’un rituel (5 cérémonies). Martin Ambara d’une plume sincère et pédagogique, invite, à travers ce texte, à se reconnecter avec nous-mêmes, avec notre spiritualité. « Ne tenant entre les mains que le bout d’un tissu de mensonges tissés de Genèse et d’apocalypse, je pris sur moi de crucifier par point d’interrogations tous les Bouddhas et Jésus de la finance, les Khalifes du numérique et les Brahma des paradis fiscaux. Tous ceux qui ont tronqué, truqué, troqué ma cervelle par une carte-mémoire amnésique », p71.
Manoka porte les stigmates du passé
Le retour sur soi dans un environnement inondé de “mutants” nécessite un rite de purification. Car l’errance de la fillette est le symbole d’un continent, d’un pays perdu et en quête de son identité par un passé maculé de souffrance et de sang. La jeune fille est décrite par la sirène comme la « semence de l’ile noircie d’horreurs, de déshonneurs et de morts ! » ‘’Manoka Express’’ de Martin Ambara nous replonge dans un pan de l’histoire du Cameroun et la nécessité de la partager afin que les uns et les autres s’abreuvent à la source. La tour qui se dresse fièrement dans cette île située dans la région du Littoral porte les stigmates de la violence d’un passé colonial tragique. Ce récit est le résultat d’un travail titanesque. Martin Ambara y a consacré des années de fouille afin de mieux comprendre les faits historiques de cet espace. Les silences et les dialogues au ton parfois colérique donnent une particularité au récit dans le jeu et l’écriture. Si cette pièce a déjà été jouée sur scène, le livre expose d’autres éléments avec un vocabulaire assumé. Écrit en français et en allemand (vu la cible historique), ‘’Manoka Express’’ est un livre à découvrir, à lire et à faire lire. Car le Cameroun a un passé éloquent qui n’est pas connu de tous. Cette œuvre théâtrale de 152 pages est éditée par ifrikiya. Il pose des problèmes historiques, de spiritualité, du retour sur soi et appelle à sortir de l’hibernation et de l’enfermement qui nous ont été imposés. Un livre facile à lire. « L’écriture était un peu difficile parce que nous redécouvrions notre histoire. Il fallait procéder par un travail de recherche et d’interrogation. Le professeur Valère Épée a été d’un grand apport pour la reconstruction et la narration tant sur le plan de la fiction que sur le plan historique du récit », explique l’auteur Martin Ambara.
Ambara Martin
Manoka Express
Théâtre
152 pages
Écrit en deux langues : français et allemand
Éditions : édition ifrikiya





