
Par : Pr Nsoh Christopher Ndikum
L’élection est le moyen démocratique par excellence permettant d’obtenir un pouvoir politique légitime pour gouverner. Si un processus électoral est injuste, corrompu ou entaché de fraude, la légitimité et la légalité politiques seront donc compromises. De telles situations peuvent inciter ou contraindre d’autres parties prenantes à recourir à la force ou à la violence pour atteindre leurs objectifs. À cet égard, la violence post-électorale devient une sorte de stratégie de compétition politique en l’absence de canaux de communication et de dialogue impartiaux.
Cet article est un appel lancé au gouvernement du Cameroun pour qu’il comprenne que dans toute forme de violence politique, en particulier la violence post-électorale, le recours à la force ne doit pas être la toute dernière option envisagée pour résoudre les différends, et pire encore, le recours à la force militaire.
La résolution pacifique des conflits
La résolution des conflits peut se faire de deux manières : par la voie pacifique ou par la force brute. La voie pacifique, qui est généralement la première étape dans la résolution des conflits, comprend deux catégories : la catégorie diplomatique, qui englobe les techniques suivantes : négociation, bons offices, médiation, enquête et conciliation. Lorsque ces techniques s’avèrent infructueuses, l’on recourt alors à la deuxième approche, connue sous le nom de catégorie judiciaire. Dans le cas de violences post-électorales, c’est à ce niveau que le Conseil constitutionnel pour la justice et l’équité des procès est censé intervenir. En outre, les parties doivent faire preuve de bonne foi pour résoudre le conflit avec succès.
Le recours à la force
L’autre approche est celle du recours à la force, qui comporte trois niveaux : la force provisoire, la contrainte et la force militaire. Le recours à la force militaire est toujours la dernière technique utilisée dans la résolution des conflits. L’on ne devrait y avoir recours que lorsque toutes les autres techniques ont échoué. Dans une situation de violence post-électorale ou à toute autre forme de violence exercée par les citoyens, l’État devrait s’abstenir d’avoir recours à la force militaire. Le rôle de l’armée est de protéger les citoyens et non de les combattre.
Le gouvernement camerounais a adopté la force militaire
Malheureusement, le gouvernement camerounais a adopté la stratégie et la tradition consistant à recourir à l’armée comme premier moyen de résolution des conflits. Le cas des régions anglophones du Cameroun, actuellement en proie à un conflit connu sous le nom de « conflit anglophone », en est un exemple flagrant. Cette stratégie a eu des conséquences désastreuses et a conduit à une situation macabre marquée par des pertes humaines et matérielles, des souffrances, des enlèvements, des violences sexistes, la consommation de drogues, la destruction des secteurs de l’éducation et de la santé, l’effondrement de l’économie et la destruction de la structure des communautés locales de ces régions.
Violence post-électorales
Aujourd’hui, nous observons des violences post-électorales dans différentes parties du pays et, en première réaction, l’État a déployé l’armée à Garoua, dans le nord du pays, où les violences ont commencé. Je tiens à attirer l’attention du gouvernement sur le fait qu’il s’agit là d’une erreur monumentale. Les violences post-électorales sont des violences politiques et exigent une solution politique pacifique.
Pire encore, l’État n’a pas pris en considération la situation géographique ou spatiale de cette partie du pays. Il s’agit d’une zone déjà touchée par l’insécurité et le terrorisme, où le groupe terroriste Boko Haram est très actif depuis 2014. Cette insécurité a rendu la population très sensible à la violence et susceptible d’être facilement incitée à prendre les armes contre l’État.
Frontières avec des pays qui connaissent une instabilité
Une autre caractéristique de cette région est qu’elle partage des frontières avec des pays qui connaissent une instabilité depuis très longtemps et qui, de ce fait, sont le théâtre d’une circulation et d’une prolifération d’armes légères et de petit calibre (ALPC) provenant de Libye depuis la chute de Mouammar Kadhafi, du Soudan et du Soudan du Sud. À lui seul, le Nigeria compte environ cinq cents millions d’armes légères et de petit calibre (ALPC) en circulation sur son territoire. En cas de manœuvre militaire dans cette région, le risque que certaines de ces armes, drogues et autres marchandises de contrebande entrent au Cameroun pour déstabiliser cette partie du pays est très élevé.
Parenté
Un autre facteur important à analyser est celui de la parenté. Le réseau de relations sociales qui existe entre les peuples du grand nord et les pays voisins de cette zone, malgré les frontières coloniales qui les séparent, est trop intime. Il existe des liens sociaux, des liens par alliance et des liens de consanguinité qui unissent les peuples et ont créé entre eux une symbiose telle qu’ils se considèrent comme un seul et même peuple. Dans cet état d’esprit, si l’un d’entre eux est attaqué, tout le groupe se sentira visé, et se mobilisera donc pour défendre les proches.
Bataille sur plusieurs fronts
Le dernier élément de cette analyse concerne l’idée de mener une bataille sur plusieurs fronts. Le stratège chinois Sun Tzu s’oppose fermement à l’idée de mener une bataille sur plusieurs fronts. Il estime en effet que cela conduit à l’inefficacité, à la démotivation et à un manque de concentration des troupes. Au Cameroun aujourd’hui, un conflit sévit dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, où l’armée est très présente, tandis que dans la région du Nord, l’insécurité causée par les terroristes de Boko Haram oblige aussi l’armée à intervenir. À cela s’ajoute le déclenchement de violences postélectorales, qui a conduit l’État à déployer l’armée à Garoua. Ces fronts sont déjà dispersés et de nouvelles violences post-électorales apparaissent dans différentes autres régions du pays, notamment l’Ouest, le Littoral et l’Extrême-Nord. La question est de savoir si le gouvernement aura la capacité de lutter simultanément sur ces différents fronts.
Je recommande donc vivement au gouvernement camerounais de s’abstenir de recourir à la force militaire dans cette partie du pays et de privilégier une approche pacifique.
La vaillante armée camerounaise
À la vaillante armée camerounaise, je tiens à rappeler la responsabilité qui incombe à une armée républicaine : vous avez prêté serment de respecter la Constitution et les lois du pays, vous avez prêté serment de protéger les citoyens camerounais, de respecter les politiques, les principes et les valeurs du Cameroun. Vous n’avez jamais prêté serment de protéger ou de défendre des lois illégales ou des individus agissant de manière illégale sans respecter les lois et la constitution du Cameroun. La constitution et les lois du pays ne doivent jamais être manipulées comme un jouet pour des manœuvres politiques. En outre, je tiens à vous rappeler les procès de Nuremberg, où des militaires qui avaient commis des actes odieux ont déclaré devant la Cour pénale internationale, pour leur défense, qu’ils n’avaient PAS LE CHOIX ; mais il leur a été rappelé qu’ils avaient LE CHOIX DE DIRE NON À LA TYRANNIE et, jusqu’à ce jour, ils sont pourchassés. Vous avez donc le choix de dire non à toute pratique illégale et au non-respect de la Constitution.
Des partis politiques et des organisations de la société civile
Aux représentants des partis politiques, des organisations de la société civile, des instances religieuses et des chefs traditionnels, il est regrettable que le Cameroun ne dispose pas d’une institution établie pour la résolution des conflits, à l’instar d’autres pays africains, tels que le Ghana et le Kenya, qui ont joué un rôle primordial dans la résolution des violences post-électorales. Cependant, vous avez la responsabilité de recourir à la non-violence pour résoudre les différends issus des élections, notamment en recourant à la médiation ou à tout autre moyen pacifique.
Aux étudiants et au personnel universitaire
Enfin, aux étudiants et au personnel universitaire, compte tenu de l’expérience du conflit dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, le recours à la violence pour résoudre les différends liés aux élections ne devrait jamais être une option. Il devrait être condamné et fermement rejeté. Cependant, vous disposez de vos droits constitutionnels pour recourir à la non-violence afin d’exprimer vos préoccupations par le biais de manifestations pacifiques. Une démocratie efficace et forte sera favorisée lorsque vous exercerez vos devoirs civiques ou votre droit constitutionnel à la liberté d’expression.
Au gouvernement camerounais
Au gouvernement camerounais, il est impératif de prévenir la fraude électorale ; et lorsqu’il y a fraude, comme c’est le cas actuellement dans différentes régions du pays à la suite des récentes élections présidentielles du 12 octobre 2025, le gouvernement doit s’abstenir de recourir à la force et ouvrir un canal de communication pour résoudre le conflit. Le recours à la force militaire contre les citoyens ne devrait jamais être une option.
*Professeur en gestion et résolution des conflits
Département de sciences politiques
Directeur du Centre d’études et de recherche en
Droit International et Communautaire (CEDIC) de l’Université de Yaoundé II.




