Nécrologie : Yondo Black, le grand combattant pour les libertés s’en est allé

Me Yondo Black

Il avait la prestance des hommes qui savent que leur nom précède leur pas. Ce jeudi 16 octobre 2025, la robe noire camerounaise perd plus qu’un avocat, elle perd un symbole, un pan entier de sa mémoire vivante. Maitre Yondo  Mandengue Black, considéré comme le Mandela camerounais, s’en est allé à 87 ans, laissant derrière lui l’écho d’une voix ferme, d’un esprit libre et d’une élégance devenue légende.

 

Né le 10 août 1938, Yondo Black découvre sa vocation d’avocat presque par enchantement. Encore lycéen, il assiste à une plaidoirie au palais de justice de Douala. L’avocate de la défense, émue jusqu’aux larmes, bouleverse le jeune garçon. À cet instant, il sait : il plaidera, lui aussi, et consacrera sa vie à la justice.

À la maison, le sens de la lutte coule déjà dans les veines familiales : un arrière grand-oncle pendu aux côtés d’Adolf Ngosso Din pour la cause du Kamerun, un autre parent, Ngando Black, premier député de Douala, figure d’une époque où la politique rimait encore avec panache et courage. Le père, fonctionnaire aux sympathies upécistes, meurt le 4 janvier 1960, laissant à son fils le legs d’une indépendance farouche. Au Collège Vogt, l’adolescent s’illustre déjà : il mène une grève pour exiger un petit déjeuner décent, à savoir du pain au lait, alterné avec du macabo, symbole d’un Cameroun qu’il voudra toujours réconcilier avec lui-même.

De la France militante aux combats de la liberté

Boursier, il part en France en 1961 étudier le Droit. Loin de sa terre natale, Yondo Black s’aguerrit dans les cercles africains en ébullition. Il fréquente l’UNEK et la FEANF, aux côtés de figures comme Woungly Massaga. L’assassinat de Patrice Lumumba secoue sa génération ; il en ressort militant, convaincu que le savoir doit servir à libérer. Devenu secrétaire d’avocat, dans un prestigieux cabinet parisien, il se forge une réputation de juriste talentueux et rigoureux. Mais alors que tout semblait lui sourire, Yondo décide de rentrer au Cameroun. Lorsqu’il foule le tarmac de l’aéroport international de Douala, au début des années 1970, il découvre la suspicion qui pèse sur ceux qui ont trop pensé librement.

Son intégration au barreau camerounais n’est pas aisée. Apres des mois d’attente et un séjour en prison, il est finalement admis à exercer. Dans les années 1990, au Cameroun, le vent du multipartisme se lève. L’homme du verbe devient homme de combat. Aux côtés d’Anicet Ekane, Henriette Ekwe et Djeukam Tchameni, il défie l’ordre établi. Son nom s’impose, gravé dans les annales de la contestation pacifique. Yondo n’est pas de ceux qui murmurent : il plaide, il interpelle, il signe, il assume. Il paiera le prix fort, la prison, pour avoir cru que la liberté d’expression ne se négocie pas.

L’élégance en étendard, la liberté pour credo

Bâtonnier prestigieux, orateur hors pair, Yondo Mandengue Black aura donné au barreau camerounais ses lettres de noblesse. De 1982 à 1986, il préside l’Ordre des avocats du Cameroun avec autorité et panache. À ce titre, il représente son barreau à la fondation de la Conférence Internationale des barreaux, le 29 novembre 1985. Il y incarne un Cameroun éclairé, fier et debout. On disait de lui qu’il plaidait comme on mène une guerre d’idées : avec panache, précisons et poésie. Dans le prétoire, sa voix vibrait comme une cloche de justice ; hors du tribunal, il devenait ce dandy à l’éternel nœud papillon, symbole d’une élégance inaltérable.

Il ne cachait rien de ses appartenances : franc-maçon assumé, esprit libre, il fréquentait les premiers wagons de la société camerounaise. Marié à une Française de haute lignée, cousine de Michèle Alliot-Marie, il incarnait à la fois le raffinement européen et la fierté camerounaise. Son cabinet de Douala, en plein cœur de la ville, tenait du musée : statuts d’art africain, tableaux, souvenirs de voyages, fauteuils aux lignes nobles. Le café y était servi avec la même rigueur que ses plaidoiries : impeccable.

Un prince de Douala, un seigneur du verbe

Yondo Black était un homme de goût et de compagnie. À table, il captivait. Son humour, sa culture, sa repartie faisaient de lui le convive rêvé. Il aimait le beau, le rare, le singulier : ses voitures de collection, son yacht de 20 mètres, ses diners en mer choisis « sur le volet ». Seuls entraient dans son premier cercle ceux qui avaient, selon lui, « patte blanche » : intelligence, culture ou simple élégance morale.

Derrière le raffinement, un tempérament d’acier. Yondo Black défendait la profession d’avocat avec un sens du sacré. Il refusait que la robe noire devienne costume de complaisance. « Nous sommes les gardiens des libertés, pas leurs figurants » disait-il souvent. Et il le prouva magistralement.

Le procès du siècle : quand la robe devient drapeau 

Début 1990, alors que le régime rechigne à ouvrir la voix du multipartisme, Yondo Black et ses compagnons de lutte décident d’en découdre avec les demi-mesures. L’histoire retiendra ce procès retentissant devant le tribunal militaire de Yaoundé : l’affaire « Yondo Black ». Ce jour-là, la salle est comble, l’atmosphère électrique. Les avocats venus de tout le pays remplissent le prétoire. L’accusé devient accusateur : Yondo démonte, article après article, la vacuité du dossier. Sa plaidoirie prend des allures de manifeste politique. Il transforme sa défense en tribune. Le barreau camerounais, galvanisé, se découvre une âme collective.

Le verdict tombe : trois ans de prison pour Yondo, quatre pour Anicet Ekane, cinq pour Jean-Michel Tekam. Mais l’essentiel est ailleurs : Dans l’opinion, le régime vient de perdre la bataille morale. L’idée de multipartisme, jusque-là taboue, entre dans l’air du temps. « Au commencement, il y avait Yondo Black », dira plus tard un confrère. Ce jour-là, la robe noire était devenue drapeau.

L’homme derrière le mythe

Derrière la stature, il y avait l’homme : doux, presque tendre dans l’intimité. Sa voix, jamais haute, contrastait avec la vigueur de ses combats. Il croyait à la non-violence, à la dignité du dialogue. Il se savait héritier d’une histoire et tisseur d’avenir. Jusqu’à la fin, il resta vigilant. En 2018, après l’élection présidentielle, il écrivit à Paul Biya pour lui demander de quitter le pouvoir. En 2020, il dénonça publiquement toute idée de « succession de gré à gré ». Il avait perdu ses illusions, jamais sa lucidité.

Le dernier toast d’un libre penseur

Ceux qui l’ont connu le disent : voir Yondo lever son verre, c’était assister à une cérémonie. Il trinquait comme il plaidait, avec conviction. Dans les salons de Douala, sur son Yatch ou dans un simple café, il savait faire de chaque instant, un art de vivre. Sa disparition laisse un vide immense. Pas seulement pour le barreau, mais pour cette idée de grandeur qu’il incarnait : celle d’un Cameroun exigeant, élégant et indocile.

Yondo Mandengue Black n’a jamais voulu jouer les seconds rôles. Il a choisi la lumière, parfois au prix du feu. Et dans ce dernier silence qu’il nous laisse, il semble encore nous rappeler que la liberté n’est pas un mot, mais un combat, et qu’il faut savoir le plaider jusqu’au bout.

Jos Blaise Mbanga Kack

 

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