
Il rêvait de rumba, il a fini par écrire son nom en lettres d’or dans le bikutsi en introduisant l’usage du cuivre au passage. Auteur, interprète, arrangeur, il laisse un héritage musical singulier par la qualité de sa musique et de ses textes.
Ange Ebogo Emerent n’a que 23 ans lorsque, un matin, il claque la porte du groupe « Super Volcan », une formation musicale alors dirigée par Atangana Quelqu’un. Titulaire d’un Cap en menuiserie, l’enfant de Nkong-Essong, petit village de la commune d’Essé dans le département de la Mefou-et-Afamba, région du Centre à des rêves qu’il compte bien réaliser. Celui de se faire un nom dans la rumba congolaise et d’autres rythmes qu’il juge plus moderne que le bikutsi. D’ailleurs, ses premiers pas dans la musique, il les effectue en reprenant les titres du chanteur américano-français Joe Dassin ou du Congolais Tabu Ley Rocheteau. Dès son passage au sein des « Super Volcan » apparaît comme un tremplin pour l’avenir. » Atangana Quelqu’un était le leader du groupe Super Volcan. Il a ouvert ses portes à Ange Ebogo en début de carrière, titulaire d’un CAP en menuiserie et désireux d’affirmer sa propre orientation artistique. Alors qu’il s’est imprégné des bases du métier auprès d’Atangana Quelqu’un, Ebogo Emerent surnommé Ange pour sa voix limpide comme venue du ciel, finit par choisir une autre voie pour poursuivre sa quête de lumière. », raconte le journaliste Thierry Minko’o co-auteur du livre « Les 100 titres clés de la variété camerounaise 1950-2020 ».Le critique musical souligne qu’à cette époque, Ebogo Emerent ne voulait pas faire du bikutsi en raison de la qualité du son qu’il jugeait de mauvaise qualité et surtout du mode d’enregistrement des chansons qui n’était pas assez sophistiqué à son goût.
Sortir des sentiers battus
En dépit de tout, c’est grâce au bikutsi qu’il écrira les plus belles lettres de sa carrière. En 1979, il commet » Enyin bibon » et en 1982 » Les filles d’aujourd’hui » qui sont très bien accueilli par le public et la presse. En 1980, la carrière d’Ange Ebogo Emerent amorce un tournant important. Le jeune chanteur décide lui aussi de fonder un groupe musical. « Ozima » ou « Ozima succès » selon les sources, voit le jour. Ce groupe est constitué de gros qui feront parler d’eux plus tard. En effet on retrouve dans cet orchestre des musiciens comme Mbarga Come, Roger Bekongo, Soul Mangouma, Atebass ou encore Zanzibar qui sont par la suite embarqué sans l’aval d’Ange Ebogo Emerent par Jean-Marie Ahanda dans une nouvelle aventure : celle des « Têtes Brûlées » avec le retentissement qui est connu. « Ange Ebogo en voulait beaucoup à Jean-Marie Ahanda, d’avoir récupéré les musiciens de son groupe à lui Ozima succès pour fonder Les Têtes Brûlées. Il s’agit notamment de Martin Maah dit Soul Mangouma, Roger Bekongo, André Afata, Zanzibar et Atebassn », explique Joseph Fumtim, éditeur co-auteur du livre « Zanzibar, Epeme Théodore et les Têtes Brûlées. La passion Bikutsi », chez Ifrikiya.
Néanmoins, décrit par ses pairs, comme un homme très positif, Ange Ebogo Emerent a su de relever de cette situation. Avec « Ozima », il a sorti plusieurs chansons : « Mema Biloa », « Adieu Jeannine », « Mwulu minam », etc. Cependant, c’est avec la sortie de son album » Expérience » le chanteur va prendre son envol définitif vers un succès à large échelle. Les débuts des années 80 sont pourtant un peu difficiles pour le bikutsi. Dans leur livre « Les 100 titres clés de la variété camerounaise 1950-2020 », Hendricks Bilé, Thierry Minko’o et Kaisa Pakito relèvent que le makossa connait une certaine hémogénie à cette période. Celle-ci ne parvient pas à éclipser le succès de « Okon ma kom », extrait de l’album Expérience produit par Nso Ngon Music ». Cette chanson est un grand succès et s’écoule à 12000 copies selon Thierry Minko’o. La critique s’accorde à dire que cette chanson d’amour est le plus grand titre du chanteur. Non seulement à cause de la qualité du doigté des musiciens (voir les réactions) mais également parce que créatif et désireux de se démarquer en donnant une autre tonalité à ses musiques, Ange Ebogo va introduire l’usage du cuivre et des claviers dans ses chansons.
Une plume pour sensibiliser
Présenté par ses collègues comme un homme affable, optimiste, Ange Ebogo Emerent n’était pas seulement une voix. Il était aussi une plume à part entière. Son œuvre s’est toujours démarquée tant sur le plan esthétique qu’éthique. Il prenait le temps de choisir chaque mot de ses chansons. Particulièrement écrites dans une langue ewondo pure. Il était capable de réécrire et même de refaire les arrangements des chansons que lui apportaient les jeunes.
Pour ce chanteur, il allait de soi que la musique serve à véhiculer des messages profonds. Ses thèmes de prédilection étaient l’amour, la vie de famille. Ange Ebogo Emerent a donné la voix pour chanter la famille épanouie et surtout pour sensibiliser aux bonnes mœurs. Ses titres » Sogolo mon », « Sita Mengue », en sont des parfaits exemples.
La carrière d’Ebogo Emerent n’a pas été un long fleuve tranquille. Il a manqué à deux reprises d’obtenir le disque d’or. Sa chanson « Okon ma kon » a néanmoins été désignée « Chanson de l’année 1984 », par le public. Ces dernières années, il n’a plus vraiment sorti d’albums. Il s’est quelque peu redirigé vers la musique religieuse en reprenant des chansons de Pie Claude Ngoumou, de Ndjana Joachim entre autres. Mais son aura est restée tout aussi forte. Il apparaissait plus en légende, en conseiller. La piraterie, les problèmes dans la gestion du droit d’auteur ont souvent eu raison de son enthousiasme à sortir de nouveaux albums. « Pour les artistes de la génération d’Ange Ebogo, l’avènement de la piraterie endémique du milieu des années 1980 ressemble au largage d’une bombe atomique, c’est-à-dire qu’on a laissé qu’ils se cassent la figure, alors qu’on pouvait l’éviter. C’est du moins le sentiment qu’ont gardé la plupart de ces stars qui avaient connu précédemment un marché musical à peu près normal au Cameroun. Les exemples sont très nombreux de ces vedettes qui ont préféré ne plus faire d’albums. D’abord pour des raisons de distribution, mais aussi pour éviter la confusion avec les nouveaux chanteurs sans profondeur que le public a commencé à célébrer bruyamment sous prétexte de promotion massive. S’agissant précisément d’Ange Ebogo, j’ai eu le privilège d’en discuter avec lui. », affirme Thierry Minko’o.
Ange Ebogo Emerent a eu le grand honneur d’être célébré de son vivant. D’abord par le monde du showbiz. Notamment dans le cadre du Festi-bikutsi il y a plus de 10 ans de cela, indique René Ayina le promoteur de cet événement. L’Etat du Cameroun a également reconnu la contribution de l’artiste au rayonnement de l’art en l’élevant au grade de « Grand Cordon de l’Ordre du mérite », le grade le plus élevé de l’Ordre du Mérite au Cameroun. Décédé à Yaoundé après une bataille contre la maladie, Ange Ebogo laisse une veuve, plusieurs enfants parmi lesquels Tonton Ebogo, auteur du titre à succès « Mama Odile ».