
La difficile équation d’une candidature consensuelle, combinée à d’autres facteurs tels que l’indécision et le manque d’enthousiasme des électeurs pour le retrait de leur carte, ou encore l’exclusion du principal opposant de la course, en août dernier, laissent planer l’hypothèse d’une abstention massive le 12 octobre prochain.
Le 12 octobre 2025, quelque huit millions de Camerounais ont rendez-vous dans les urnes pour élire leur président de la République. Ils devront donc choisir parmi les douze candidats en lice, dont le chef de l’État sortant, Paul Biya, au pouvoir depuis 43 ans, celui qui va conduire leurs destinées au cours des sept prochaines années. Si le démarrage officiel de la campagne électorale est prévu pour ce samedi 27 septembre, la plupart des 12 candidats retenus pour concourir à l’issue de la phase du contentieux préélectoral à la Cour constitutionnelle, n’ont pas attendu cette échéance pour lancer les opérations de charme et de conquête de l’électorat, au-delà de leurs bastions traditionnels. Pourtant, au-delà de l’effet de foule observé çà et là, au passage de la caravane de certains leaders, notamment ceux considérés comme des poids lourds de l’opposition au président sortant, l’engouement suscité auprès du public camerounais par ce scrutin, jusqu’ici, ne semble pas à la hauteur de l’enjeu majeur, qui n’est autre que l’alternance au sommet, après quatre décennies de règne sans partage du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), dont le bilan est jugé catastrophique par de nombreux opposants à ce régime aux affaires depuis le 6 novembre 1992. En tout état de cause, l’intérêt des populations demeure à relativiser comparativement aux échéances précédentes, notamment l’élection présidentielle du 7 octobre 2018, où les Camerounais avaient un tant soit peu cru au miracle de l’alternance à la tête du pays.
Eviction du principal opposant Maurice Kamto
Ce faible engouement s’explique d’abord par l’exclusion de la course de celui que les Camerounais considèrent, jusqu’ici, comme l’opposant principal et sérieux face au président Paul Biya, qui est en quête d’un huitième mandat consécutif à la tête de l’État. Cette éviction jugée « arbitraire » par la plupart des observateurs avisés, a émoussé et douché les espoirs de ceux qui croyaient encore au changement. Elle a redessiné les cartes du présent processus électoral, propulsant au-devant de la scène, dans le rôle de principaux challengers de Paul Biya, les deux « frères » du Septentrion, Issa Tchiroma Bakary et Bello Bouba Maïgari, présidents respectifs du Front pour le salut national du Cameroun (Fsnc) et de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (Undp). Confrontés à cette nouvelle configuration de la carte électorale, bien qu’indécis, les partisans du changement traditionnellement acquis au professeur Maurice Kamto, ont désormais la lourde responsabilité de choisir l’homme de l’alternance parmi les onze candidats challengeant le chef de l’État arrivé au terme de son septième mandat. Seulement, dans un contexte de difficile renonciation aux égos en faveur d’un candidat consensuel, l’indécision des électeurs s’accroît. Du coup, la probabilité d’une forte abstention n’est pas à écarter. Or cet état des choses pourrait bien faire le jeu du parti au pouvoir, qui pourrait actionner les mécanismes classiques de fraude en s’arrogeant les voix des électeurs inscrits sur les listes mais absents le jour du vote.
Cartes électorales en souffrance dans les antennes Elecam
Ce désintérêt manifeste des potentiels électeurs se matérialise aussi par leur peu d’enthousiasme à se rendre dans les antennes communales d’Elecam pour retirer leur carte électorale. Le 04 septembre dernier, un haut responsable d’Elections Cameroon (Elecam) dans le Littoral déplorait cette réticence manifeste des électeurs, peu enclins à se rendre dans les antennes communales d’Elecam pour se procurer de leur carte. « Douala, aujourd’hui, c’est 200 000 cartes non retirées : Douala 1er, c’est 25 000 cartes ; Douala 2, c’est 30 000 cartes ; Douala 3, c’est 31 000 cartes ; Douala 4, c’est 47 000 cartes. C’est énorme (…). Si on se projette sur le Mfoundi, ça fait 400 000 cartes. Et, pour tout le Cameroun, ça fait un million de cartes », affirmait-il.
Inculture électorale et politique
Au-delà de ces facteurs, non négligeables dans le contexte actuel, il faut considérer l’inculture des Camerounais, aussi bien en matière des élections que sur le plan politique. C’est du moins l’avis partagé par l’universitaire Louison Essomba, enseignant de Facultés de sciences juridiques et politiques, et consultant politique. « Il y a eu une masse critique qui s’est inscrite sur les listes électorales. Nous l’avons tous vu. Sauf qu’on a comme l’impression que, le jour-j, c’est-à-dire que le jour où il faut aller exercer son devoir citoyen et républicain, ces citoyens prennent le recul. L’explication que je vous donne semble relever d’une inculture électorale et politique qu’il faudrait donc renforcer, en termes de sensibilisation et d’éducation des masses », expliquait l’enseignant le 4 septembre dernier au micro de nos confrères de radio Equinoxe. Mais les électeurs ne sont pas à accuser sur toute la ligne. L’autre difficulté s’agissant du problème de retrait des cartes électorales, réside dans les distances entre les antennes communales et les électeurs. Ce à quoi il faut ajouter l’état de dégradation totale de la voirie urbaine et même dans les campagnes. Pour le cas de Douala, par exemple, les distances entre les électeurs et les antennes communales sont déconcertantes.
Distance des antennes communales Elecam
L’arrondissement de Douala 3ème, considéré comme la plus grande commune du pays, en est un cas de figure. Les habitants doivent partir de Yassa ou de Village pour Logbaba, où se trouve l’antenne communale. De même, comment en vouloir à un habitant de Douala 4ème qui refuse de braver les embouteillages du fameux « Carrefour Mutzig » pour aller retirer sa carte à Bonassama, à un jet de pierre du pont sur le fleuve Wouri ? C’est dire que les autorités, et en l’occurrence Elecam, doivent jouer leur propre partition. Autant que les responsables des partis politiques ne doivent pas se lasser de rappeler aux citoyens l’importance de retirer leur carte d’électeur et de se rendre aux urnes le 12 octobre pour exercer leur devoir et plébisciter le changement.