
« Il a été honoré de son vivant »
René Ayina, promoteur du Festi Bikuts
Ange Ebogo Emerent était un artiste complet, toujours humble. Une personne sobre et surtout professionnelle jusqu’au bout. C’est le genre d’artiste qu’on n’aimerait pas perdre. Il mérite d’entrer au panthéon. Récemment, j’ai écouté à la télévision des reprises de ces chansons. C’est quelqu’un qui a laissé une grande empreinte dans la musique camerounaise. Nous devons sauvegarder et protéger ce patrimoine. Parce que ces textes ont toujours tenu compte de l’éthique et de l’esthétique. C’est un artiste à qui nous avons toujours pensé rendre hommage pendant qu’il était en vie et nous l’avons fait il y a plus de 10 ans dans le cadre du Festi-bikutsi. C’était une figure à suivre. Le nombre de jeunes qu’il a formé en dit long sur son impact. Nous estimons qu’il a laissé un grand héritage musical pour sa prospérité. C’était un exemple à suivre pour les jeunes artistes.
« Une bibliothèque a brûlé »
Thierry Minko’o, journaliste, auteur de livres sur la musique.
Pour moi, Ange Ebogo est une bibliothèque qui n’est pas partie en fumée, contrairement à l’expression liée à la disparition des anciens en Afrique. D’abord parce qu’il a beaucoup transmis et témoigné ces dernières années, contribuant à étoffer le narratif de la variété camerounaise. Ensuite parce qu’il a offert depuis longtemps un successeur ultra compétent en la personne de son fils Tonton Ebogo, lui aussi guitariste, chanteur et arrangeur. Concernant les thématiques, je peux dire sans prendre d’énormes risques qu’Ange Ebogo Emerent aura été le chanteur de la famille. Entre «Sita», «Okon Ma kon» (glorieuse inspiration venue de Cheramy de la Capitale) et «Sogolo mon» (tube intégral consacré au planning familial), il aura affirmé une puissance inégalée à dépeindre notre société sous ses aspects domestiques et communautaires. Concernant la musique en elle-même, la trajectoire d’Ange Ebogo est paradoxale. Praticien de la rumba puis du makossa dans les années 1970, il n’était pas emballé par le courant elak ou bikutsi dont il trouvait les orchestrations broussailleuses et dénuées d’ambition esthétique. C’est pourtant en se mettant progressivement au bikutsi qu’il en deviendra une des étoiles, un des «Anges» gardiens.
« Il chantait pour civiliser les mœurs »
Joseph Fumtim, éditeur, auteur de livres sur la musique.
Pour l’écriture de notre livre « Zanzibar Epeme Théodore et les Têtes Brûlées », Anne Cillon Perri et moi l’avons rencontré deux fois, nuitamment. Une fois au cabaret qu’il dirigeait sur la route de Nsimalen et une autre fois à son domicile. C’était un homme affable, très positif et optimiste dans tout ce qu’il faisait. Ange Ebogo est de l’école des musiciens moralistes à la base. C’est pourquoi ses premières chansons étaient beaucoup plus de longs récits destinés à moraliser, à civiliser les mœurs. À l’instar de «Sita Mengue», « Les filles d’aujourd’hui » et plus tard « Sogolo mon ». Un morceau dans lequel il aborde la question du planning familial qui, non seulement était en vogue à l’époque, mais surtout articulait un contexte où la conjoncture économique devenait préoccupante pour les ménages. Sa chanson « Okon Makon » est, à mon sens, le titre le plus emblématique de sa carrière, tiré de son album « Expérience », sorti en 1984 chez le producteur « Nso Ngon Music ». La singularité de ce morceau et de tout l’album d’ailleurs tient d’abord à l’élargissement organologique apporté dans ce projet par Jean-Marie Ahanda a qui le producteur avait confié la direction artistique du projet. Pour la première fois, comme chez « Les vétérans d’Ongola », les instruments à vent (exécuté par le duo Jimmy Mvondo Mvele et Tette Fredo Ngando) sont utilisés dans le bikutsi. L’autre élément déterminant est l’usage protubérant de la guitare solo exécutée par le jeune Zanzibar sous un modèle plutôt rock. Il n’est donc pas surprenant que cet album ait obtenu le disque de l’année 1984.
« Il a favorisé un brassage entre le ndjan et le bikutsi»
Magasco, artiste-Chanteur
J’ai rencontré cette légende dans le cadre la compétition Orange Music Légende organisée par l’entreprise Orange Cameroun et dont l’objectif était de mettre en collaboration des anciens et jeunes talents de la musique. Il fallait faire des reprises de ces légendes-là tout en ajoutant une touche personnelle. Donc moi, j’ai été mis en duo avec Papa Ange et nous avons chanté son classique « Sogolo mon ». Je vous assure que nous avons appris beaucoup de lui. Cette collaboration a permis de réaliser un magnifique brassage entre le bikutsi (Centre) et le ndjan (Nord-Ouest). Le projet a vraiment été apprécié du public. Nous avons été très sollicités pour chanter cette chanson. Aujourd’hui dans notre parcours musical, cette belle collaboration nous a appris à quel point nous pouvons faire de très belles œuvres en proposant un joli mix de nos cultures.
Propos recueillis par Elsa Kane